LE BALAS, PORTEUR DE L’EAU DU NIL
Issue 9
Le travail est organisé de façon rigoureuse, dans les fabriques de balas. Des ouvriers à la compétence avérée préparent la pâte d’argile, en nettoyant au moyen du tamis la terre, celle-ci est ensuite humectée puis longuement travaillée au sol par les ouvriers qui l’écrasent sous leurs pieds avant de la battre pour la rendre ductile.
Un jeune garçon se charge de fournir l’argile au potier qui travaille sur un tour, appelé le‘hajar (la pierre). Ce dernier divise la pâte en parties égales, correspondant au poids et au volume de chaque balas, sans jamais recourir à une balance. On fait sécher le moule, puis on le remplit en tassant la pâte nécessaire au balas, à l’intérieur du four. Seul un spécialiste peut se charger de cette tâche. Il est aidé par un jeune apprenti qui lui apporte les moules depuis le lieu de séchage, puis les débris de poterie qui servent à recouvrir le four.
Cet ouvrier spécialisé n’est le plus souvent pas confiné à une seule fabrique, il passe d’un four à l’autre. Le remplissage des moules demande près d’une heure et demie de travail, mais cette durée peut varier selon les caractéristiques du four, la nature et la forme des balas à cuire.
Le balas avait, dans le passé, diverses formes, mais se composait, à peu de choses près, des mêmes éléments que le récipient actuel ; les proportions sont également restées les mêmes ; de leur équilibre et de leur harmonie dépendent toute la beauté de l’objet. Notons aussi que la belle porteuse de balas n’a pas peu contribué au rayonnement de cette forme. L’image est même devenue pour de nombreux plasticiens un motif d’inspiration. C’est le cas du célèbre sculpteur, Mahmoud Mokhtar, qui, dans beaucoup de ses muraux et de ses sculptures, s’est inspiré de cette figure et en a fait le thème des bas reliefs ornant la base de l’imposante statue de Sâad Zaghloul, au centre du Caire.
La photographie artistique y a également largement puisé. Des tableaux de la vie quotidienne en Egypte ont également été consacrés, au long des siècles, à ce motif. De même, les orientalistes et les savants, arrivés lors de la campagne d’Egypte, nous ont-ils laissé de nombreux dessins et tableaux, représentant des femmes portant des jarres et mettant en évidence la beauté de leur vêtement qu’elles retiennent d’une main tandis que l’autre
soutient le balas, placé sur leurs têtes, de manière à le maintenir en équilibre, tout en marchant. La femme égyptienne, belle et élancée, qui avance d’un pas fluide, le balas en équilibre sur la tête, est ainsi devenue une célèbre association, symbolisant la complémentarité artistique entre l’objet et le corps féminin, l’harmonie des proportions entre ces deux formes et cet équilibre qui ne peut être atteint qu’une fois le récipient rempli. Sa dimension esthétique peut expliquer la pérennité de cet ustensile qui continue à faire partie de la vie quotidienne, dans bien des foyers, malgré la disparition de tant d’autres objets relevant de l’héritage culturel du pays.
Le balas est connu, depuis les temps les plus reculés, pour la légèreté de son poids, et l’on comprend qu’il continue à être apprécié, notamment par les femmes, et à jouer un rôle dans le stockage de l’eau, particulièrement dans les régions qui ne sont pas encore équipées de réseaux de distribution. Même si les récipients en plastique ont commencé à faire leur apparition, dans la région concernée par cette étude, c’est le balas qui est le plus utilisé dans le stockage et le transport de l’eau.
Le balas fait partie des ustensiles de cuisine. On y conserve le miel noir, afin qu’il garde longtemps son goût et son arôme, mais aussi le vieux fromage auquel on ajoute des peaux d’orange et de concombre ainsi que l’eau dégagée par le barattage, afin de pouvoir l’utiliser sur de longues périodes. Les variantes et autres salaisons y sont également stockées et, pendant longtemps, ne subissent pas d’altération.
Nous trouvons aussi beaucoup d’habitations à Al Mahroussa, construites principalement à base de balas. Certaines ont des dizaines d’années d’âge et sont encore debout, défiant le temps. Les balas qui ne peuvent être commercialisés en tant qu’ustensiles servent, en effet, à combler les ouvertures et à bâtir les murs ainsi que les hautes terrasses et autres parties de la maison.
Le balas a également été lié à la magie. Une croyance fort répandue veut que toute forme en argile peut servir dans les pratiques occultes, si l’on y inscrit des voeux formés par son propriétaire. Cette croyance a souvent cours chez beaucoup de potiers qui sont persuadés que lorsqu’ils vendent une pièce achevée mais qui n’est pas encore cuite celle-ci peut faire l’objet d’inscriptions relevant de la magie, ce qui peut avoir pour celui qui a donné forme à cette pièce de graves conséquences : maladie, paralysie totale ou malheurs allant jusqu’à la fermeture de sa fabrique.
Imen MAHRAN(Égypte)