CUISINE TRADITIONELLE ET MONDIALISATION
Issue 9
de tel ou tel groupe. Car, même si les cultures locales se trouvent inscrites à l’intérieur d’un seul et même cadre, elles n’en restent pas moins diverses et n’en présentent pas moins d’évidentes particularités.
La cuisine est à cet égard un des critères essentiels pour déterminer le niveau de vie d’un groupe social ainsi que les valeurs esthétiques qui sont les siennes, car elle reflète, de par sa variété et les moyens qu’elle met en oeuvre, la richesse psychosociale de ce groupe.
On ne saurait, à cet égard, oublier que, dans tous les pays et dans tous les continents, ce sont les femmes, en particulier dans le monde rural, qui assument, en premier lieu, la responsabilité de la confection des plats. Plus précisément, les femmes ne contribuent pas seulement à la préparation des repas mais aussi à plusieurs étapes de la production des ingrédients qu’ils nécessitent. La femme a, en effet, toujours veillé à assurer à sa famille une alimentation saine et économique, outre qu’elle a, par le passé, déployé de réels efforts pour garantir les provisions pour l’hiver, en stockant ou en mettant en conserves les produits, fruits, céréales ou légumes, disponibles en été, obéissant pour lors au rythme saisonnier de production qui faisait que beaucoup de produits n’étaient pas sur les marchés, en hiver.
L’auteur appréhende la mondialisation, en tant qu’elle représente un mouvement accéléré et transnational d’échanges de fonds, d’informations, de savoirs, qui a raccourci les distances entre les pays, faisant de chaque endroit de la planète une portion de ce marché mondial que les grandes firmes s’acharnent à conquérir. Le fondement de la mondialisation est le commerce, indépendamment des matières échangées, un commerce où seule règne la compétition entre les grandes entreprises pour attirer et fidéliser de nouveaux consommateurs. La mondialisation n’est, par conséquent, rien de plus que « la culture de la consommation » : elle n’est pas seulement commerce de biens, mais aussi commerce de la culture et de la nature, dans le seul souci de la rentabilité.
L’auteur souligne que la préservation du patrimoine local est en fait sauvegarde d’une richesse et d’une diversité qui confèrent à la culture son identité et ses valeurs. Les mutations rapides de notre temps exigent une prise de conscience accrue de la nécessité de promouvoir le patrimoine local, à travers toutes ses composantes, des plus élémentaires aux plus complexes, et de veiller à sa préservation, de la façon la plus appropriée, afin d’en tirer le meilleur profit.
Remettre en cause la mondialisation ne signifie nullement se fermer les yeux devant les évolutions de l’époque ou s’y opposer, mais rester attaché à son identité et à ses spécificités et, en même temps, s’informer et tirer profit des expériences menées à travers le monde en les adaptant au goût local. De même, faut-il utiliser les technologies modernes de la communication pour transmettre aux autres nos productions, notre héritage mais aussi nos propres expériences. Notre patrimoine, dans toute sa richesse, n’est pas que « passé », un passé que nous évoquons et regardons avec fierté, il doit être considéré comme une « mine » riche de toutes sortes de trésors matériels autant que moraux ou spirituels.
Les écologistes militants disent : « Pense mondial et agis local », tandis que les militants au service de la culture disent : « Pense local et agis mondial ». Il convient donc d’entreprendre sans délai des initiatives, au niveau local, de les mener à bien afin de faire connaître sur la plus large échelle notre culture. La cuisine pourrait
constituer un des points de départ essentiels d’une telle action. Le plus urgent sera alors de documenter en totalité les plats locaux, en précisant les dates, occasions et coutumes sociales auxquelles ils sont liés. Cette tâche incombe en fait à tous les spécialistes mais aussi à tous les hommes de culture.
Il nous sera d’autant plus aisé de passer aux étapes suivantes de notre action que nous disposerons d’archives complètes de notre cuisine traditionnelle. Nous proposerons, en outre, que soit développée la production de programmes audio-visuels consacrés aux plats locaux et que les instituts d’hôtellerie et de restauration et leurs jeunes élèves et étudiants soient encouragés à créer de nouveaux plats qui aient pour base la cuisine locale. Des festivals de cuisine traditionnelle variés et novateurs devraient être organisés dans les différentes régions de nos pays pour faire connaître les spécificités régionales.
De même, des compétitions pourraient être lancées entre les chefs autour de la confection mais aussi de la commercialisation de plats traditionnels. Livres et prospectus sur cette cuisine devraient également être élaborés, sur des bases scientifiques et en plusieurs langues, et diffusés auprès d’un large public...
D’autres idées pourraient également être proposées qui ne manqueraient pas de contribuer à attirer l’attention sur cette partie essentielle de notre héritage culturel et sur la nécessité de le préserver, dans toute sa richesse. Soulignons à cet égard qu’il existe aujourd’hui en Syrie une association non g o u v e r n eme n t a l e , connue sous le nom de « L’association syrienne des goûteurs » qui oeuvre au service de la cuisine traditionnelle et de la nécessaire information sur la question, mais que très peu de gens en ont entendu parler car elle n’a pas encore entrepris d’action publique.
Il reste que nous devons faire preuve d’optimisme et croire que nous possédons les moyens nécessaires pour lancer une initiative locale susceptible de prendre une dimension mondiale. Notre patrimoine recèle d’immenses richesses, nous disposons de créateurs, de maîtres d’oeuvre et de professionnels, en grand nombre : pourquoi alors ne pas exploiter toutes les ressources de notre cuisine traditionnelle, en inventant de nouveaux plats qui soient une illustration de notre identité et, en même temps, notre message au monde face à la mondialisation et à l’«uniformisation culturelle.»
Mariam Bsheesh(Syrie)