Revue Spécialiséé Trimestrielle

RITES ET CROYANCES LIES A LA MORT

Issue 8
RITES ET CROYANCES LIES A LA MORT

Cette continuité traduit aussi bien le rapport des peuples à la nature et à l’environnement physique que les relations à l’intérieur d’un milieu social qui n’a cessé de se renouveler et qui est devenu le creuset à l’intérieur duquel s’est formée la sphère civilisationnelle du Machreq arabe.

Les populations du Machreq enterrent jusqu’à ce jour leurs morts selon les mêmes rites : un petit trou est creusé, du côté de la pierre tombale, à moins que de la terre sablonneuse ne soit répandue sur la sépulture, en vue d’être arrosée par les visiteurs, lesquels y feront pousser une végétation qui doit rester toujours verdoyante. La plupart des gens estiment, aujourd’hui, qu’une telle tradition n’a d’autre but que d’« adoucir » la dernière demeure du défunt.

Mais, en revenant aux documents sumériens sur la région du Machreq arabe ainsi qu’aux vestiges recueillis dans différents sites, nous constatons que ce rite remonte aux temps préhistoriques, qu’il a été consigné dans les ouvrages sumériens, depuis cinq mille ans, et reste encore vivace, de nos jours. Les offrandes présentées aux défunts, sous forme de nourritures et de boissons, ou les cérémonies rituelles qui leur sont consacrées, pendant les journées de nadb (déploration et éloge du mort) sont censés protéger les survivants contre les âmes des morts et calmer les esprits habitant les profondeurs souterraines.

A ce jour encore, on entend dire, en accord avec les croyances populaires du Machreq, d’un homme à l’agonie que « son étoile a plongé. » Il n’est pas certain que les populations de la région sachent aujourd’hui le sens exact de la formule, mais les documents venus des sites de différentes cités de l’ancien Machreq nous donnent l’explication. La croyance dans les étoiles jouait en effet un rôle important dans la vie des hommes, chaque personne ayant un signe du zodiaque qui gouverne son existence et le rapport entre ce signe et un autre signe a des conséquences fastes ou néfastes sur cette personne.

L’homme moderne place aujourd’hui la photo du cher disparu sur le mur pour perpétuer sa mémoire et exprime ainsi, d’une certaine manière, son désir de lui garder une place parmi les vivants ou, pour être plus précis, l’espoir que sa mémoire ne s’effacera jamais. Or, ces nobles sentiments humains sont attestés depuis les premiers âges de la civilisation universelle, même si chaque époque a adopté un style et une esthétique qui lui sont propres. Ainsi, en remontant aux temps anciens du Machreq et à l’invention de l’agriculture, neuf mille ans avant l’ère chrétienne, nous constatons l’existence d’un phénomène que l’on a appelé arwahiya (spiritisme) ou culte des ancêtres : le crâne du mort est séparé du reste du corps, puis, dans la logique de ces pratiques cultuelles, accroché au mur de la maison, ainsi que nous le prouvent les découvertes faites sur le site de Muraibet, en Syrie, et de Jéricho, en Palestine.

Il ne semble pas que le tombeau ait constitué, dans les croyances populaires, un lieu où les vivants pouvaient trouver un réconfort, quand bien même il renfermerait un être cher. C’est pourquoi des coutumes se sont développées où le tombeau était utilisé à certaines fins, dans la vie de tous les jours, dans les milieux populaires. Pour prendre un exemple, un homme, animé de rancune à l’égard d’un autre, se rendra sur une tombe où il ramassera une poignée de terre qu’il répandra sur la tête de son ennemi, le jour du mariage de ce dernier, ce qui fera, selon la croyance populaire, de la victime un homme tout à fait mort, un transfert s’étant produit de la personne ensevelie sous terre à l’ennemi qui était en vie.

De même, certaines croyances populaires voient que le saccage ou la destruction des tombeaux comme dans toute tentative de les faire disparaître, surtout lorsque le mort est un homme de bien ou un saint, ne peuvent que conduire l’auteur de telles violations à la mort ou à la paralysie, sauf s’il immole un agneau et en fait l’aumône aux pauvres.

Peut-être faut-il noter, ici, que les rites funéraires se caractérisent par trois actions : La première : consiste à verser de l’eau (sur la sépulture) ; ce rite est très ancien ; La seconde : à offrir des repas et à immoler des bêtes pour honorer l’âme du défunt ;

La troisième : à mettre des branchages, du lys, des palmes et des roses sur la tombe du défunt, car on croit que cela contribue à « adoucir l’atmosphère sèche et sinistre » de cette tombe. Nous savons à cet égard que la couleur verte symbolise la vie, la fertilité et le printemps, la tradition populaire voulant même que la mariée qui a la chance de voir la pluie tomber le jour de ses noces aura un « vert destin » car elle a le « pied vert », dans le sens de la vitalité et de la fertilité. Les branches de palmier sont utilisées, lors des funérailles ou de la visite au mort mais aussi pour décorer les cimetières.

Les différentes études consacrées à la question reconnaissent, en général, que le palmier était aux yeux des Phéniciens l’arbre de la vie ; les Phéniciens sont même allés jusqu’à considérer cet arbre comme consubstantiellement lié au jardin de l’éden autant qu’à Ashtart, symbole de la fertilité. Le palmier était également le symbole de la famille chez les peuples d’Egypte, du Croissant fertile et de la Presqu’île arabique.

Certaines données portent à penser que les Arabes de l’époque antéislamique adoraient le palmier et qu’une fête annuelle était consacrée à cet arbre, à Najran. L’image du palmier est clairement liée, aux plans culturel et anthropologique, au cycle de la mort et de la résurrection ou, à celui de la naissance et de la perpétuation de l’espèce.

Bachar Khleif (Syrie)

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