Revue Spécialiséé Trimestrielle

Ibn Khaldoun Et La Science Du Folklore

Issue 8
Ibn Khaldoun Et La Science Du Folklore

Si les nations n’ont prêté attention à la richesse d’un tel héritage qu’à l’époque contemporaine, le savant Ibn Khaldoun, qui était né dans la région du Maghreb, dans une famille venue d’Hadrumète, et dont l’oeuvre connut un prodigieux rayonnement au cours du VIIIè siècle de l’Hégire, a compris toute l’importance des croyances et pratiques populaires qu’il ne s’est du reste pas contenté de rapporter, mais qu’il a abordées selon une démarche souvent proche de celles qui se sont imposées à notre époque.

On pense, notamment, à la magie qu’il évoque dans ses célèbres Prolégomènes. Il désigne en effet la magie ainsi que certains prodiges qui en relèvent du mot de « sciences » et les définit comme « la science de dispositions naturelles par lesquelles les êtres humains affirment leur capacité à faire face à l’action des éléments naturels, avec ou sans l’aide de phénomènes naturels : la première de ces sciences est la magie, la seconde le recours aux talismans.

» Cette définition contient implicitement la reconnaissance que ces « sciences » pallient les carences techniques des hommes, dès lors que ceuxci éprouvent le besoin de transformer la nature. Ibn Khaldoun reprend cette idée dans le passage où il dit que les pratiques magiques visent à modifier les corps physiques en leur donnant une autre forme « au moyen de la force psychologique et non pas de l’action matérielle.

Ibn Khaldoun évoque une troisième forme de magie qui est, selon lui : « l’influence des puissances imaginaires ; celui qui détient une telle influence se sert de ces puissances imaginaires qu’il utilise d’une certaine façon, en y introduisant divers phantasmes, imitations et images de l’élément visé ; il les transmet ensuite par les sens aux témoins du processus grâce à la force de suggestion dont il est doué, si bien que ces spectateurs voient ces phénomènes se dérouler devant leurs yeux alors qu’il ne se passe rien de tel dans la réalité. » Ibn Khaldoun semble suggérer ici que certaines personnes sont douées d’une telle force de suggestion et que d’autres seraient impressionnables, l’hypnotisme n’étant à cet égard que l’une des manifestations de ce pouvoir d’influence sur les autres.

Ibn Khaldoun attribue certaines formes de magie au désir qui est en l’homme de connaître ce que lui réservent les jours à venir, les succès et les échecs qui l’attendent dans sa vie.

Ibn Khaldoun essaie également, dans les Prolégomènes, d’établir le lien entre certaines formes de magie, tels que l’astrologie, la géomancie, la divination, le spiritisme, etc., et leurs racines dans les pratiques antéislamiques des voyants et autres devins.

S’il y a une conclusion à tirer de ces réflexions sur la démarche adoptée par Ibn Khaldoun dans les pages qu’il a consacrées dans ses Prolégomènes aux croyances populaires et à certaines pratiques magiques est que ce grand penseur arabe du VIIIè siècle de l’Hégire a toujours procédé avec méthode et dans un esprit que l’on peut qualifier de moderne. Non content de décrire les manifestations de croyance populaire, il tente d’en déchiffrer les secrets et d’en retrouver les racines profondes, à partir d’un examen attentif des causes et des effets

. En rejetant bien des croyances populaires qui relèvent du conte et manquent de tout substrat logique il s’est fondé sur les enseignements de la religion musulmane ainsi que sur les grandes avancées scientifiques de son époque, notamment dans les domaines de la théologie ou de la logique, sans parler de cette grande puissance d’analyse et de synthèse qui était la marque de son génie. Ainsi, notre grand historien a-til ajouté, dans ce domaine comme dans tant d’autres, des pierres d’attente au grand édifice du savoir sur lesquelles les spécialistes du folklore vont pouvoir construire leurs théories et leurs enquêtes sur le terrain.

Sabri Muslim Hammadi (Irak)

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