Revue Spécialiséé Trimestrielle

SUR CERTAINES FORMES DE PRISE DE CONSCIENCE DU ROLE DE L’IMAGINAIRE

Issue 8
SUR CERTAINES FORMES DE PRISE DE CONSCIENCE DU ROLE DE L’IMAGINAIRE

On pourrait se dire que l’imaginaire relève de la théorie littéraire, de la critique d’art ou des domaines du soufisme, et plus généralement, des religions, et qu’il est très rare que la pensée philosophique s’y intéresse. Il est certain que les philosophes obéissent à des considérations et à des présupposés logiques, qui se justifient en soi, lorsqu’ils abordent les questions de l’imagination et de l’imaginaire où se croisent légendes, contes, récits et rêves, c’est-à-dire les diverses productions symboliques qui transcendent les contraintes de la raison. Négliger toutes ces manifestations et n’y voir que des phénomènes susceptibles de perturber le fonctionnement de l’esprit serait, en effet, une manière d’aborder le sujet humain de façon monolithique, sous le seul angle de la raison.

Car, rêve, imagination ou sensations représentent, pour le moins, l’en deçà de la raison, sauf que l’être humain n’est pas simple raison, pas plus qu’il n’est simple conscience. Bien au contraire, c’est un être « fait de contradictions » et dont l’existence suppose la coexistence du désir, du rêve, de la raison et de la réalité, un être à l’intérieur duquel interagissent et se combattent toutes ces facultés pour exploser, sous la forme de manifestations linguistiques et symboliques où la raison peut étendre son empire comme peuvent s’y exprimer des aspirations d’ordre esthétique qui n’obéissent pas forcément à la pensée rationnelle, au sens courant du terme.

Mais les avancées qui ont marqué les temps modernes, depuis le XIXè siècle jusqu’à nos jours, ont complètement révolutionné la vision de l’image et des productions de l’imaginaire. Ainsi, la photographie, le cinéma, la télévision, les nouvelles techniques de fabrication et de distribution du livre, etc. ont ébranlé dans ses fondements le discours de la raison, mettant les oeuvres nées de ces nouvelles découvertes dans un rapport plus immédiat avec l’imagination qu’avec la raison des hommes, si bien que les différents domaines et expressions de l’imaginaire sont passés de l’ombre et de la marginalité où ils étaient confinés, et donnant forme à un matériau visible qui nourrit l’oeil, quelle que soit la direction qui le sollicite.

La ville moderne s’est, dès lors, transformée en un vaste entrepôt de symboles et de significations où l’image occupe une place secondaire, et tout se passe alors comme si ces mutations radicales que la modernité a instaurées et ces symboles visuels qui impriment leur marque à tous les espaces de la ville moderne avaient concouru à donner toute sa signification à cette formule de Platon : « Celui-là qui a capturé l’image a capturé l’âme. »

L’écriture et la création artistique, quels qu’en soient la forme ou le mode d’expression, constituent un riche domaine pour le travail de l’imagination, laquelle peut, par l’image, la métaphore, la comparaison, l’exploitation des mythes et légendes, offrir de plus nombreuses opportunités au dialogue entre les cultures que ne pourrait le faire la raison stricto sensu. L’écriture et l’art, étant la manifestation sublimée des potentialités conscientes et inconscientes enfouies dans le corps de l’écrivain ou de l’artiste, constituent, dans leur principe même, un appel à nul autre pareil. De même le texte écrit est-il un appel à une rencontre entre l’imaginaire de l’auteur et celui du lecteur virtuel, lequel lira le texte à partir de son propre imaginaire, c’est-à-dire de sa perception personnelle du symbolique.

C’est à l’intérieur de ce processus que se fera l’interaction ou la répulsion. L’auteur souligne que l’imaginaire, en tant qu’il est le domaine d’où jaillissent les symboles, ne s’arrête pas à la simple reformulation des choses ou au simple reclassement des images et des récits. Car autant il implique la subjectivité de l’individu, au cours du processus de production de l’oeuvre, autant l’imaginaire la transcende pour aller à la rencontre de réalités relevant de ce que Paul Ricoeur appelle « l’imaginaire social ».

L’auteur souligne, en outre, que l’occident a oeuvré, depuis l’âge des Lumières jusqu’à ce jour, à réunir deux niveaux constitutifs de son être : la production de soi et de sa propre identité, d’un côté, et de l’autre, l’autocritique et la critique des métamorphoses de cette identité. Une telle critique est menée tantôt au nom de la raison, tantôt sous la forme d’une négation radicale de ce qui est, tantôt au nom de la « dé-raison » et de la promotion de l’imaginaire, restauré dans sa dignité, etc. C’est ainsi que l’histoire de la pensée occidentale s’est frayée sa voie, à travers de nombreuses démarches qui en font une histoire associant des approches et des perceptions hétérogènes, voire conflictuelles, et qui peuvent, ici ou là, s’exclure mutuellement.

Mohamed Noureddine Afaya (Maroc)

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