Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA VENGEANCE DANS LE FOLKLORE

Issue 7
LA VENGEANCE DANS LE FOLKLORE

L a vengeance a perduré après l’arrivée de l’islam qui n’a pu dans les faits l’éliminer, en dépit de la position de la religion révélée à l’égard de ces traditions et du meurtre en général. Une telle pratique est en effet étroitement liée à un système social fondé essentiellement sur l’attachement fanatique à la famille, à la communauté villageoise et à la tribu, ce qui est bien le cas de la société rurale Egypte, en particulier dans les régions les plus reculées de la Haute Egypte, ainsi que dans les sociétés tribales arabes où la vengeance (vendetta) repose sur un système et des règles stricts.

Les Arabes, selon l’auteur, croyaient que l’âme du mort revient, dès que celui-ci est mis en terre et qu’elle reste à l’intérieur du tombeau, errante et torturée, à appeler à la vengeance, ne trouvant le repos qu’une fois la vengeance accomplie. L’étude s’arrête sur le cas du village d’Al Sawam’a, dans le district de Souhaj, où le phénomène de la vendetta a connu, à l’instar des autres villages de la Haute Egypte, une grande ampleur qui s’explique, d’après le chercheur, par un sentiment de honte et d’humiliation, attisé par le regard méprisant du groupe ou de quelques irresponsables, qui fait que la vengeance devient chez les membres de la famille de la victime la seule loi en même temps que l’unique moyen de recouvrer leur « dignité perdue » et de regagner l’estime du village.

L’auteur souligne le rôle important de la femme dans la pérennisation de cette coutume. Mère, épouse, soeur ou fille du mort, celle-ci joue, en raison des liens puissants qui l’unissent à cet homme, un rôle important d’incitation car elle refuse de commencer le deuil et de s’habiller en noir avant l’accomplissement de la vengeance. Et, lorsque celle-ci survient, l’événement est vécu comme un grand moment de joie parce que l’honneur de la famille a été restauré. La femme peut alors se mettre en deuil et commencer à recevoir les condoléances, exactement comme les hommes du clan qui, eux aussi, refusent toute consolation tant que vengeance n’a pas été faite.

L’auteur s’arrête sur une autre coutume : la femme dont un proche a été tué par un membre de la famille où elle a pris époux se voit proposer par cette famille le choix de rester ou de retourner dans la sienne en étant entourée, dans ce cas, de tous les égards. Or, fait notable, il est très fréquent que la femme choisisse de rester auprès de son mari, lorsqu’ils ont eu ensemble des enfants. La famille du meurtrier y consent mais en prenant toutes les précautions pour qu’aucune parole en rapport avec le drame et la vendetta ne soit prononcée en sa présence.

L’auteur note que nul n’a eu véritablement la force de combattre cette coutume. Les sages du village ne purent en effet user de leur expérience et de l’autorité que leur confèrent la piété et le savoir religieux pour y mettre fin ou ne serait-ce que pour réduire l’acuité du problème. Seul, à cet égard, l’impact des évolutions socio-économiques a joué un rôle. Les changements survenus grâce à l’argent apporté par les travailleurs qui ont émigré vers les pays arabes, et, partant, l’aspiration à une vie meilleure, plus moderne, ont en effet ébranlé certaines certitudes. Ceux qui n’avaient aucun bien sont devenus des possédants et ceux qui avaient l’argent se sont retrouvés démunis, ce qui s’est traduit, quoique de façon très lente, par une évolution des mentalités qui a conduit les gens à comprendre, sur la base de calculs purement matériels, la signification profonde de l’adage : « celui qui tue est tué. » En d’autres termes, la vendetta s’est de fait trouvée réduite à une affaire qui se règle entre le meurtrier et la famille de la victime, sans l’intervention de qui que ce soit d’extérieur.

La famille peut, si elle veut, épargner la vie de celui qui a tué, même si, dans la pratique, la chose paraît inconcevable, mais du moins patientera-t-elle jusqu’à ce que l’occasion se présente de mettre à exécution son projet de vengeance. L’auteur note, par ailleurs, que l’une des croyances de la région d’Al Sawam’a est que toute personne assassinée revient sous la forme d’un spectre qui lui ressemble parfaitement, tant par la physionomie que par le vêtement, ne différant d’elle que par les yeux qui brillent comme deux braises rouges, et ce spectre ne cesse de crier vengeance.

Ahmed Abderrahim- EGYPTE

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