Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA CULTURE POPULAIRE ENTRE EXCLUSION ET PERCEPTION OBJECTIVE

Issue 7
LA CULTURE POPULAIRE ENTRE EXCLUSION ET PERCEPTION OBJECTIVE

Les premiers voient en effet dans la culture populaire l’une des manifestations de la singularité, de l’originalité et de l’authenticité qui fondent toute appartenance identitaire, d’autant plus que cette culture s’est affirmée par sa capacité à résister à l’usure du temps et aux invasions culturelles étrangères. Pour les partisans de l’exclusion, cette culture est, en revanche, l’image vivante sous-développement des sociétés arabes qu’elle rejette vers un passé dont elle fait leur vivre au détriment du présent et, il va de soi, de l’avenir : en finir avec cette forme de culture constituerait, de leur point de vue, la première tâche à accomplir pour avancer sur la voie du progrès, du développement et de la modernité.

N ul doute que le retard marqué par les peuples arabes, en termes de développement, ne fait que creuser le fossé entre les deux camps et ne contribue à faire porter à la culture populaire arabe une grande part de responsabilité dans la situation où se trouvent actuellement les Arabes, étant entendu qu’elle est l’expression du « peuple », c’est-à-dire de l’écrasante majorité des gens, et qu’elle participe de façon directe et effective à la formation de l’image que l’on se fait de la civilisation de la nation.

Ces points de vue antagoniques mettent en évidence l’arrière-plan idéologique de visions qui tentent de se cacher sous les dehors de l’objectivité et de la scientificité. Un tel arrière-plan impose au chercheur de s’interroger sur le contenu et le degré de légitimité de ces positions : sont-elles le produit d’une démarche scientifique ? ou bien consacrent-elles une perception raciste des réalités ?

On ne saurait passer sous silence le fait que la crise par laquelle passe la culture populaire reflète la crise de la culture arabe, en général, et, de façon plus particulière, celle de l’intellectuel arabe. « La culture arabe est aujourd’hui dans l’impasse… elle se trouve à la croisée des chemins… »et la diversité des attitudes exprimées à son égard ne sont que le reflet de cette crise. L’auteur souligne que cette crise de la culture populaire n’est pas séparable de celle de la culture arabe, en général. De même, la crise de la culture arabe n’est que le reflet de la crise de la civilisation arabe, laquelle est un pur produit de la crise politique dans laquelle se débat la nation. « C’est par la puissance de l’Etat que s’édifie la grandeur de sa civilisation ». Il est évident à cet égard que toute puissance tend à la domination, la force se nourrissant de la faiblesse de l’autre et trouvant dans sa soumission la confirmation de sa prééminence.

Les intellectuels arabes qui croient pouvoir résoudre le problème de la culture populaire par l’exclusion et la mise en quarantaine, à travers des procédures de marginalisation, d’escamotage et de rejet, sont indubitablement dans l’erreur car ils n’ont pas conscience de l’interdépendance des manifestations qui constituent la réalité de telle ou telle société en tant que celleci forme un tout solidaire. « C’est par la puissance de l’Etat que s’édifie la grandeur de sa civilisation. » La civilisation « est l’art de gérer la richesse et d’exceller dans la production des outils nécessaires à son actualisation dans les différents domaines, qu’il s’agisse de la cuisine, de l’habillement, de l’urbanisme, de l’ameublement, de l’architecture et de tout ce qui a trait aux coutumes et traditions domestiques.

» L’homme étant « le fils de ses coutumes », nous ne croyons pas qu’il soit aussi facile que le croiraient certains de se libérer de ces coutumes qui sont partie intégrante de notre être, de notre essence profonde. Nous ne croyons pas non plus que la crise que vit l’intellectuel arabe ait une autre cause que le conflit dans lequel il se débat du fait de l’énergie qu’il déploie pour « purifier » la culture arabe des « scories » de la culture populaire sans savoir que c’est en réalité d’une partie de lui-même, indissolublement liée à son être, qu’il est en train de s’amputer. Sa situation serait alors comparable à celle d’un homme qui, constatant la présence d’une infection dans son propre sang, s’emploierait à le purifier en le laissant s’écouler et finirait par se vider de tout son sang et par passer de vie à trépas.

Il faut qu’un changement de perspective survienne au niveau de l’ensemble des clivages et des visions manichéennes qui ont conduit à isoler la culture populaire et à la confiner dans une position inférieure. Nul ne saurait ignorer le grand mouvement d’ouverture des champs du savoir les uns sur les autres qui a marqué la scène culturelle et scientifique à travers le monde. Ce mouvement témoigne de la convergence, des grandes continuités souterraines qui unissent les différentes sciences. Le développement exponentiel que connaît la linguistique, aujourd’hui, est le meilleur témoignage de cette ouverture, de cette interaction et inter fécondation entre les savoirs qui est la marque de notre temps. Le linguiste se réfère autant à la neurologie qu’à la psychologie, à la sociologie ou à la philosophie pour jeter les bases de ce que l’on appelle la linguistique cognitive.

Narjess Badis -Tunisie

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