LA JUSTICE COUTUMIERE EN ÉGYPTE : NAISSANCE, DÉVELOPPEMENT ET DEVENIR
Issue 65
Ahmed Abu al Ala . Égypte
L’étude porte sur la justice coutumière en Égypte, de façon générale, et sur le rôle qu’elle joue en termes de réparation des préjudices et d’instauration de la paix sociale au sein des communautés qui s’adressent à elle, à travers la multiplicité de leurs cultures. Elle s’interroge sur l’étendue et les raisons des changements qui ont affecté le rôle de ce type de justice.
Le travail est réparti sur six volets. Le premier traite de l’histoire de la justice coutumière, de l’idée de droit dans les sociétés rurales et des principes fondamentaux sur lesquels se fonde cette justice. Les règles coutumières sont nées et se sont spontanément développées dans des sociétés fondées sur les rapports harmonieux entre leurs membres. Ces règles ne reconnaissent pas les sanctions sur lesquelles se basent les lois officielles. Ce système coutumier est également, pour une large part, organisé selon un ordre rigoureux, tant en ce qui concerne sa structure que ses dispositions, et se base sur la volonté de traiter les affaires avec célérité.
Le deuxième volet définit la loi coutumière comme une loi qui répond à une situation où les gens se sont habitués à un comportement donné dans une affaire donnée, au point de croire que ce comportement a un caractère contraignant et que toute infraction est passible d’une sanction matérielle. La règle coutumière est également définie comme étant celle qui détermine les devoirs de l’individu et leurs limites. C’est elle qui décide de la nature des relations et des interactions entre les personnes. Elle a pour finalité la réalisation de l’équilibre social et la garantie de la sécurité et de la tranquillité pour les individus et la collectivité. Viennent ensuite les principales spécificités du droit coutumier : la pérennité et la durabilité; la capacité à changer; la tendance à la conservation du système coutumier; la transmission par le transfert volontaire de père à fils.
Le troisième volet porte sur " l’écologie" de la justice coutumière, soit sur les réalités de la vie quotidienne, du milieu et de la géographie qui ont joué un grand rôle dans la naissance des coutumes bédouines et sur l’environnement saharien qui a déterminé de façon décisive les données et particularités qui sont celles de la société bédouine autant qu’il a orienté le comportement de ses membres; le tout reposant sur la solidarité entre environnement et coutume afin que soient surmontées les dures conditions de l’existence.
Le quatrième volet expose les formes de reconnaissance officielle par l’État de la justice coutumière, à travers l’examen du rapport entre coutume, loi (le code officiel) et autorité de l’État. Ce voletntraite également des principales différences entre justice coutumière et justice officielle : la longueur des procédures dans les affaires soumises aux tribunaux officiels; le fait que le droit formel vise à prévenir et à faire exécuter punitions et rétributions alors que le droit coutumier tend à chercher le rapprochement, l’entente et la conciliation; la justice coutumière prononce parfois des jugements plus sévères, voire des sentences plus lourdes que celles prévues par les dispositions du droit formel; la règle coutumière n’en jouit pas moins d’un degré élevé de souplesse; la justice coutumière ne dispose pas pour l’exécution de ses jugements des moyens de la contrainte organisée. Ce volet se termine par un aperçu sur le droit coutumier au Sinaï et à Matrouh.
Le cinquième volet expose certains principes qui sont au fondement de la justice coutumière, soit : la conciliation; la proportionnalité des sanctions; la solidarité dans la vengeance; le rapport entre coutume et charia.
Le sixième et dernier volet s’arrête sur les formes et les raisons de l’évolution de la notion de coutume ainsi que sur l’avenir de ce type de justice, à travers l’examen des causes qui sont derrière le changement affectant la justice coutumière et son faible impact et qui sont : la transformation du concept d’autorité parmi les communautés sahraouies et les insuffisances du droit coutumier lui-même; le rôle de la révolution culturelle, sociale et technologique dans la modification de nombreux aspects de la vie traditionnelle; le rôle de l’enseignement qui a mis en doute la compétence des systèmes tribaux dans le domaine du maintien de l’ordre; l’ignorance des coutumes par les jeunes générations; la dislocation de la famille traditionnelle; l’affaiblissement de l’autorité des hommes de loi parmi les juges coutumiers.
L’auteur aborde ensuite les principales manifestations du changement affectant la justice coutumière, et notamment : l’apparition des conseils de conciliation; la substitution des paiements en numéraire aux sanctions; l’intervention des service en charge de la sécurité dans de nombreuses affaires concernant la société, y compris par la désignation de conseils coutumiers et la résolution des conflits; la consultation d’experts en dehors du corps de la magistrature; l’enregistrement par écrit des actions et des accords; la rareté du recours à la vengeance dans les affaires de meurtre et de coups et blessures; l’application de la charia islamique dans les affaires de meurtre; la régression du principe de responsabilité collective solidaire; la substitution du chèque de caution au kafil (tuteur).
L’étude présente dans sa conclusion une vision prospective de l’avenir de la justice coutumière dans la société rurale en Égypte, en prévoyant les multiples changements qui risquent d’affecter ce type de société, dans un proche avenir. Elle souligne également le fait que la coutume et ses multiples usages concrétisent les changements que connaît la vie sociale, économique et culturelle tout autant que l’administration par l’État des sociétés rurales.