Revue Spécialiséé Trimestrielle

UNE MÉTHODE ORIGINALE D’ÉTUDE DE LA CHANSON POPULAIRE ET DE LA POÉSIE DIALECTALE L’ouvrage de Sadok Rezgui Les Chansons tunisiennes, à titre d’exemple

Issue 63
UNE MÉTHODE ORIGINALE D’ÉTUDE DE LA CHANSON POPULAIRE ET DE LA POÉSIE DIALECTALE L’ouvrage de Sadok Rezgui Les Chansons tunisiennes, à titre d’exemple

Dr Mohamed Kahlaoui. Tunisie

Ce travail permet de comprendre jusqu’où l’écriture de l’histoire de la chanson dans toute la variété de ses expressions et l’étude des différentes formes de mélodie dont elle s’est accompagnée ouvrent des voies à l’examen des occurrences de cet art et des modes de créativité qui l’ont constitué. L’ouvrage multiplie les entrées pour aborder les différentes formes de chant, aussi bien en arabe littéral qu’en arabe dialectal et en même temps pour saisir les éléments de réception des beautés de la mélodie et du rythme dans leur rapport à la subjectivité des individus et à la vie sociale elle-même. Les connaissances que présente l’ouvrage intitulé Les Chansons tunisiennes n’ont pas pour but de percer les secrets de cet art en tant que tel et à le documenter à la seule fin d’en garder la mémoire, mais visent à comprendre les formes de sa présence dans la sphère sociale et son impact sur la mémoire et la sensibilité des gens et, de là, à étudier la manière dont il s’épanouit à travers les différentes expressions gestuelles et toute cette interactivité et dynamique corporelle qu’induisent le rythme et la performance mélodique, de sorte à pouvoir saisir les significations dont les poésies – en arabe littéral ou dialectal – qui sous-tendent les chansons sont porteuses. La réception relève elle-même d’une esthétique qui lui est propre et dont le référentiel profond est la vie des individus, leurs us et coutumes et leur vision de l’homme, des choses et de l’existence. 

Diverses considérations ont amené Sadok Rezgui à critiquer certaines manifestations accompagnant les arts du chant et de la psalmodie, tout en exprimant son point de vue personnel qu’il présente comme un regard objectif et pertinent avant de développer des arguments variés pour le renforcer. Il critique, par exemple, les séances de chant et d’apologie du Prophète qui accompagnent certaines festivités religieuses ou cérémonies soufies de sama’a (audition d’hymnes religieux) où se manifestent des formes de comportement et divers gestes et mouvements qui lui paraissent inacceptables au regard de la raison et de la haute moralité. Maître Mohamed Habib a tenté de justifier cette critique en écrivant : « Nous avons perçu chez cet auteur une certaine sévérité à l’égard des tarîqa soufies, mais ses arguments sont clairs, il a écrit cet ouvrage à une époque où prédominait l’idée de juste milieu et où le soufisme a été dépouillé de ses élans de spiritualité et fortement accusé d’inertie, de fatalisme et d’optimisme béat, délaissant la peine et le labeur et s’en remettant à la générosité divine et à l’intervention du surnaturel, si bien que sa spiritualité s’est transformée en matérialisme naïf. »

Entre critique, justification et lecture attentive à l’originalité de la méthode esthétique-culturelle à visée anthropologique, l’ouvrage de Sadok Rezgui, Les Chansons tunisiennes, qui, d’un autre point de vue, repose sur une méthodologie claire au plan de l’analyse historique, a une haute valeur scientifique, non pas en termes de culture historique générale fondée sur la description et la classement, mais sur le plan ethnologique et anthropologique, en raison de l’observation rigoureuse des phénomènes socio-psychologiques, ainsi que des us et coutumes dont l’existence et la pérennité ont été liées à diverses formes de chant et à des mélodies bien particulières présentées dans divers contextes festifs. Messaoud Idriss, auteur de la traduction française de l’ouvrage, écrit : « Nous avons là quasiment le seul ouvrage de référence sur la musique et les chansons tunisiennes, en ce qui concerne cette période historique, d’autant plus qu’il présente un ensemble de données sociologiques et anthropologiques sur les us, coutumes et rites festifs de la société tunisienne, en même temps qu’une enquête sur les formes de musique et de chant qui les ont accompagnés, notamment au cours des XIXe et XXe siècles, et que Rezgui a su décrire minutieusement et rendre dans leur vérité, tout en les commentant, souvent à travers des situations concrètes. » (Cette traduction a paru sous le titre Les Chansons tunisiennes. CENATRA, Centre National de Traduction, Tunis, 2015).

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