Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA CULTURE POPULAIRE : SUBJECTIVITE ET APPROCHE COGNITIVE

Issue 6
LA CULTURE POPULAIRE : SUBJECTIVITE ET APPROCHE COGNITIVE

L a collecte et l’archivage constituèrent à cet égard la première étape de cette prise en charge par la pensée occidentale de sa propre culture populaire, dans une démarche qui ne manquait pas de rigueur, tant au plan de la méthodologie que de la définition des fins et des moyens. C’est sur cette base que les milieux culturels, scientifiques et académiques ont entrepris de collecter, d’archiver et de stocker les éléments de cette culture, conformément à une méthodologie qui était fondée sur un vaste travail de vérification et d’archivage et n’avait cessé de se développer, mettant à profit les moyens techniques que chaque époque lui offrait jusqu’au jour où les nouvelles technologies modernes de l’information sont venues lui apporter des outils de classement et d’indexation à tous égards dignes d’admiration.

La recherche dans le domaine de la culture populaire est, exactement comme dans les autres domaines de la connaissance, une affaire d’institutions, et celles-ci sont fondées sur des structures et des législations mais aussi sur des traditions anciennes en matière de recherche, de réflexion et de production du savoir où il ne saurait y avoir de confusion des rôles. A cet égard, les expositions et les rencontres festives ne peuvent s’y substituer, d’aucune façon.

Et c’est là, précisément, que la situation dans les pays arabes diffère, et dans une large mesure, de ce que l’on voit dans le monde occidental. Dans nos pays, en effet, les rencontres scientifiques ne sont guère séparées des exhibitions festives ; les colloques, les tables rondes se succèdent, dans les différents domaines et spécialités, sans déboucher sur des résultats tangibles. Mais, pour voir les choses comme elles sont, si la situation des études sur la culture populaire dans les pays arabes révèle d’indéniables avancées, elle ne laisse pas de marquer de graves fluctuations, tant au plan de la vision d’ensemble que des techniques d’approche ou des procédures d’analyse.

L’auteur souligne, néanmoins, que la culture arabomusulmane a mis en place des règles et des normes de travail auxquelles d’autres civilisations ne sont parvenues que bien plus tard. Culture de la transmission orale, à la base, notre culture s’est trouvée, du fait des exigences de l’urbanisation et de la stabilité sociale, dans l’obligation de collecter et d’archiver son patrimoine, conformément à des normes et à des règles qui sont demeurées ancrées dans l’esprit des hommes, et dont les premières sont la fidélité, la sincérité et l’enquête rigoureuse et fondée sur le double critère du temps et du lieu.

La personne qui se chargeait de collecter le patrimoine ne pouvait se permettre de changer arbitrairement un mot ou de substituer une expression à une autre. Au contraire elle se faisait un devoir de transmettre la version la plus proche de ce que l’on pouvait considérer comme le récit le plus authentique, celui qui faisait l’objet d’un consensus. Et s’il y avait des divergences significatives, le collecteur se devait de les signaler pour apporter un surcroît d’éclairage à la version rapportée et lui conférer de plus amples résonances.

La rigueur dans ce domaine, outre qu’elle prémunit le patrimoine oral contre les risques de dégradation, permet de garder la structure du texte ou de l’oeuvre transmis, telle que le groupe l’a voulue, une telle structure étant liée à un ensemble de constructions signifiantes qui ne peuvent qu’être altérées dès lors que le support verbal se trouve modifié. Aussi convient-il que nous ne contentions pas de stocker notre culture populaire dans des livres ou des enregistrements audio-visuels que nous veillerions à protéger en les dépoussiérant de temps à autre, tout en les conservant soigneusement sur les rayons des bibliothèques ou des médiathèques, en tant qu’ils constituent à nos yeux des témoignages de notre identité et des jalons sur la voie de l’édification de notre personnalité. Ce serait alors les enfermer dans le plus profond des tombeaux. La collecte, la conservation et l’archivage devraient, au contraire, être le point de départ de tout un processus d’enquête, de réflexion, de mise en perspective propre à dégager les multiples significations de cet héritage et à servir de plateforme à la production du savoir et à l’affinement des outils cognitifs.

C’est ainsi seulement que notre apport au développement des sciences de l’homme, en tant que telles, pourra acquérir toute sa spécificité et constituera une contribution authentique à la connaissance de l’humain, sur la base d’une véritable connaissance de nos propres particularités.

Mohamed Negib Nouiri - Tunisie

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