Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE TAPIS KAIROUANAIS ENTRE IDENTITÉ, AUTHENTICITÉ ET EXIGENCES DE LA MODERNITÉ ET DE L’INNOVATION

Issue 55
LE TAPIS KAIROUANAIS ENTRE IDENTITÉ, AUTHENTICITÉ ET EXIGENCES  DE LA MODERNITÉ ET DE L’INNOVATION

Dr Ibtissama Mhaddhab Jelassi

Écrivain. Institut Supérieur des Arts et métiers.

Université de Kairouan. Tunisie

Le tapis est l’un des fleurons de l’artisanat tunisien, l’un des plus célèbres aussi. Le mot zarbîya (pluriel zarâbi) qui désigne cet objet en dialecte tunisien vient du Coran, il est attesté dans la Sourate

La fabrication du tapis s’étend à de nombreuses régions de la Tunisie où abonde la laine, mais c’est surtout dans la ville de Kairouan que cet artisanat a acquis toute sa célébrité. Historiquement, Kairouan fut, de l’an 184 de l’Hégire (800ap J-C) à 296H (909), la capitale de la Tunisie, qui s’appelait alors l’Ifriqiya. Fondée par Oqba ibn Nafaâ el Fihrî en 50H qui en a fait le point de départ de ses conquêtes victorieuses, elle fut également la première ville islamique du Maghreb. De nombreux penseurs et historiens considèrent Kairouan comme le point de départ de l’histoire de la civilisation islamique en Afrique du Nord, si bien que cette ancienne capitale est devenue au regard de l’histoire la plus ancienne et la plus importante des cités islamiques dans la région. Elle reçut plus tard l’appellation de Quatrième des Trois, ce qui signifie qu’elle est la quatrième ville sainte après La Mecque, Médine et Al Qods (Jérusalem). Cette appellation fait référence au grand nombre de sites et monument religieux qu’elle recèle, au rôle central et décisif qu’elle joua dans l’enracinement de la religion islamique dans de nombreuses régions de l’Afrique et de l’Andalousie ainsi qu’au rayonnement qui fut le sien en tant que foyer culturel et centre d’études théologiques. 

En plus de sa valeur historique et de l’éclat qu’elle acquit comme centre religieux et culturel, Kairouan fut également réputée pour ses traditions artisanales que ses habitants se sont transmises jusqu’à ce jour. Mais c’est le tapis qui tient la première place parmi les différents métiers qui s’y rencontrent. Le nom de Kairouan se trouve désormais lié au travail du tapis, même si cet artisanat s’est répandu dans d’autres régions de la Tunisie, comme le Sahel. 

D’un point de vue académique, cette étude répond au grand besoin qui se fait actuellement sentir en enquêtes sur le terrain autour de thèmes liés à la vie sociale à Kairouan et ailleurs. Ces recherches devraient en effet compléter les textes de référence consacrés à la question des métiers de l’artisanat en Tunisie et révéler une partie des trésors du patrimoine arabe et islamique dans cette ville qui demeure l’une des plus anciennes et des plus importantes du monde musulman. 

En dépit des évolutions structurales que le tapis a connues du fait de cette industrialisation du secteur qui a tant contribué au développement économique de la Tunisie, le tapis n’a pas vu régresser sa valeur patrimoniale et traditionnelle, bien au contraire, il continue à ce jour à être considéré comme l’un des meilleurs éléments d’ameublement dont s’enorgueillissent la maison kairouanaise comme les maisons des autres villes du pays. 

Mais le tissage du tapis a aujourd’hui grandement besoin de renouveler ses formes pour être au diapason de l’époque, quand bien même il resterait attaché à son histoire. Il est à cet égard moins question d’économie que de civilisation, d’identité, de culture, la zarbîya de Kairouan représente en effet une part de la mémoire collective qui fait la synthèse de bien des coutumes et traditions mais aussi de toute une philosophie vivante fondée sur les notions de travail, de partage de l’effort, de respect de la qualité et de pérennité de la transmission du savoir.

Sans doute les impressions que nous avons pu recueillir sur le terrain et où le goût raffiné se conjugue à la fierté du passé sont-elles l’expression de la vraie continuité entre le tapis et l’environnement où il a vu le jour et prospéré et dont cet artisanat constitue le prolongement naturel. On comprend dès lors qu’il soit si important de protéger cet héritage face à la domination des technologies modernes et à cette profonde révolution des communications avec toutes les menaces qu’elle représente pour l’identité mais aussi toutes les opportunités qu’elle offre au commerce et à la conquête des marchés.

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