Revue Spécialiséé Trimestrielle

UN PAS DE PLUS SUR LE BONNE VOIE

Issue 26
UN PAS DE PLUS SUR LE BONNE VOIE

Entre la fin des années 50 et la fin des années 70 du XXe siècle, deux chercheurs travaillant sur le terrain ont effectué, en plusieurs périodes, des séjours au Bahreïn. L’objectif était le même, mais chacun a travaillé sur un thème différent. Ils menaient, l’un et l’autre, des enquêtes scientifiques sur le terrain, parcourant des milliers de kilomètres en direction des régions orientales de la Presqu’île arabique afin de connaître et d’étudier les arts du chant du Bahreïn, du  Koweït, de Qatar, de l’Etat des Emirats Arabes et du Sultanat d’Oman. Ces études approfondies étaient devenues pour eux le but de toute une existence dévolue à la recherche et à la science.

Le Professeur Pol Rofseng Olsen (1922-1982) fut le premier à se rendre au Bahreïn. Membre de l’Académie danoise de la musique populaire, Président du Conseil mondial de la musique traditionnelle, il était considéré comme un des plus grands  spécialistes de cet art lorsqu’il rejoignit la mission archéologique danoise venue effectuer des fouilles sur le territoire bahreïni. Le Professeur Olsen se donna pour tâche d’explorer le patrimoine musical et chanté des populations du Golfe arabe. Le regretté Professeur Ahmed Al Fardane et moi-même qui étais à l’époque élève de lycée, eûmes l’occasion de faire partie des guides qui ont accompagné le professeur dans ses déplacements à travers les lieux où se produisaient les artistes du tarab (musique populaire). Et ce fut ainsi que nous participâmes aux rencontres qu’il effectua avec les musiciens, les interprètes et les récitants, dans les différentes villes du Bahreïn. Le Professeur Olsen réussit à enregistrer des œuvres représentant les principaux arts bahreïnis du chant, notamment les airs qui étaient chantés sur les bateaux des chercheurs de perles ainsi que ceux qui accompagnaient leurs soirées de veille lorsqu’ils revenaient de leurs expéditions. A cela s’ajoutaient les chansons qui égayaient les mariages et autres cérémonies.

Je puis dire, sans risquer de me tromper, que les performances artistiques enregistrées par le Professeur Olsen sont parmi les œuvres les plus pures et les plus proches des origines de ces arts populaires tels que les pratiquaient des maîtres aujourd’hui disparus. Olsen m’écrivit à son retour au Danemark pour me demander le nom de certains des instruments qui étaient en usage ; il souhaitait également que je lui traduise les textes qu’il avait enregistrés, ce que je fis en m’aidant des rudiments de langue anglaise que j’apprenais auprès de mon professeur Aïssa Al Dhaouadi.

Le Professeur Olsen a écrit un ouvrage de qualité sur la musique et le chant au Bahreïn et dans la région du Golfe arabe qu’il a intitulé : La Musique traditionnelle du Golfe arabe. On peut considérer cette œuvre, demeurée à l’état de manuscrit jusqu’à sa mort, comme la synthèse de ses recherches. La disparition de ce grand savant fut une grande perte pour les spécialistes de cette musique. J’écrivis, à cette époque, au nom du Centre du patrimoine populaire des Etats du Golfe arabe dont j’étais membre, à la femme du Professeur Olsen pour m’informer des documents et manuscrits concernant la région du Golfe arabe que le défunt a laissés. J’ai fait part à Mme Olsen de mon désir d’en acquérir des copies afin d’en assurer la conservation à quoi elle répondit que tous les mémoires, journaux, bilans de recherches laissés par le défunt, y compris les correspondances qu’il a entretenues avec ses guides et ses accompagnateurs, ont été transférés à titre de dons à la Société danoise de musique populaire, laquelle les a, à son tour, légués au Musée national danois , où ils se trouvent toujours.

Par chance et grâce à la louable initiative officielle du Département de la culture et du patrimoine national du Ministère bahreïni de l’Information, les droits de traduction et de publication du manuscrit du Professeur Olsen furent acquis, en 2005. Le Ministère se chargea d’imprimer et de publier en anglais, sa langue d’origine, ce manuscrit en l’accompagnant de trois CD contenant tous les enregistrements – très rares – que le chercheur danois a effectués. Traduit, publié et distribué en arabe, ce livre représente aujourd’hui l’une des plus précieuses études sur le terrain qui existent dans ce domaine, une étude qui, par-delà le patrimoine musical de la région, s’interroge sur l’impact du comportement humain, avec toutes les visions et formes de savoir qu’il véhicule, sur la création musicale.

Le Professeur Olsen a laissé un important florilège d’enregistrements sonores, des œuvres d’une grande rareté, mais aussi de nombreux mémoires, brouillons, articles publiés dans de nombreuses revues scientifiques qui constituent un vrai trésor et une part inappréciable de ce qui fait notre grandeur spirituelle.

Quant au deuxième chercheur, le Professeur Simon Gergey, chef du Département des études arabes et islamiques à la Faculté des lettres de l’Université de Genève, il était de mère arabe et de père suisse, il parlait couramment l’arabe et était passionné de collecte et d’étude des chansons populaires. Il avait publié avant son arrivée dans la région un important ouvrage dans lequel il a collationné des textes du mawwel syrien qu’il a accompagnés d’une étude analytique. Le Professeur Gergey est arrivé au Bahreïn après une visite au Koweït au cours de laquelle il était parti à la recherche de textes chantés sur le mode du mawwel, tel qu’il était connu en Syrie, au Liban et en Jordanie, en vue d’une étude comparée. Mais, dès le début, il fut captivé par le chant des pêcheurs de perles ainsi que par l’art du sawt (littéralement : belle voix) qui est typique de la région. Il consacra l’essentiel de son étude aux chansons populaires du Golfe. Je lui servis de guide lorsqu’il entreprit d’enregistrer les œuvres les plus importantes du patrimoine chanté du Bahreïn. Il partit ensuite pour les Emirats Arabes Unis, puis pour la Jordanie, avant de revenir à plusieurs reprises au Bahreïn afin de parachever son étude. Il publia, au début des années 80, grâce au Musée national de Genève, l’ensemble des informations et documents sonores qu’il avait collationnés et enregistrés, sous la forme de quatre CD, accompagnés chacun d’un livret contenant les documents ainsi que les noms des témoins, guides et récitants qu’il avait rencontrés. LA CULTURE POPULAIRE s’emploie actuellement à négocier les droits de réédition de ces enregistrements auquel sera jointe, pour chaque CD, une traduction arabe du livret d’accompagnement. Les pourparlers sont avancés et l’on espère que ce pas viendra compléter le précédent.  

Toutes ces actions menées de façon précoce sur le terrain en vue de collationner et d’enregistrer les arts du chant, dans la région du Golfe et dans le reste de la Presqu’île arabique, constituent, sans aucun doute, une entreprise d’envergure d’une rare qualité. La providence divine a voulu que de grands spécialistes soient venus accomplir cette tâche et la parachever loin de la terre qui a donné vie à ce patrimoine. C’est ce qui a permis de conserver ce précieux legs populaire et de le transmettre aux générations futures.

Ali Abdallah Khalifa
Président de la rédaction

Toute Issues