UN PATRIMOINE UNIVERSEL : EL MOSSALIA ET UNE PHILOSOPHIE : SE PROSTERNER DEVANT DIEU SUR UNE SURFACE TRESSÉE
Issue 50
Pr Dr Imen Mahran
Professeure de culture matérielle à l’Académie des Arts du
Caire. Présidente de la Commission des Arts populaires de
l’Union arabe de protection des Droits de propriété intellectuelle
Du désert d’Arabie nous vient l’idée de moussalia (littéralement : qui sert à la prière) des musulmans qui est confectionnée dans des matériaux qui furent au tout début des feuilles de palmier tressées, évoluant par la suite jusqu’à la soie naturelle.
Le musulman ne se sépare guère de sa moussalia, qu’il soit chez lui ou à la mosquée pour les nombreuses prières qui se succèdent au long de la journée. Il n’est pas à cet égard une seule demeure de musulman qui ne compte au moins une moussalia.
Celle-ci consiste en une pièce de laine, de soie, de jonc, de cuir ou de tout autre matériau dont la fonction est de couvrir la surface sur laquelle se prosterne le prieur, y reposant son front, ses paumes, ses genoux et ses pieds, toutes postures qui exigent une propreté immaculée. Le fidèle étale la moussalia sur le sol pour accomplir sa prière.
Le mot arabe – sejjada – qui désigne aussi cette pièce tissée ou tressée vient de soujoud – prosternation. Avec la diffusion des nattes ou tapis fabriqués selon la technique du sejjad – tapis de prière – au point noué, la sejjada est devenue le modèle de base du tapis manuel ou mécanique.
La moussalia constitue également un produit fonctionnel, étroitement lié à l’accomplissement de la prière quels qu’en soient le matériau, le tissage ou la qualité.
Elle renvoie en fait à une signification plus globale quant à sa nature et à sa fonction. Car le mot moussalia lui-même vient de l’acte même de prier – salla , mais l’on remarque que deux mots, moussalia et sejjadat salat – tapis de prière –, sont employés sur une large échelle en terre d’islam. Au Soudan, c’est en revanche le mot sallaya (littéralement : qui fait prier) qui se rencontre le plus fréquemment, alors qu’au Maghreb c’est l’appellation zarbyat salat – tapis de prière – qui prévaut. En tout état de cause, il s’agit toujours d’une surface plane ornée de dessins.
Du fait de la mondialisation, du développement des médias et de la multiplication des formes de marketing, c’est l’appellation sejjadat assalat – le tapis de la prière – qui a cours dans la commercialisation de ce produit étroitement lié à la prière islamique.
La moussalia est un patrimoine de l’humanité car la prosternation est un acte que de nombreuses religions ordonnent au fidèle. Elle figure une attitude commune liée à la nature humaine et reposant sur une philosophie de la soumission à Dieu par le corps du fidèle qui se prosterne sur une surface tissée ou tressée, comme s’il s’agissait d’une gestuelle innée, celle du croyant qui s’en remet à l’inconnaissable et à l’univers dans la plénitude de sa majesté. C’est pourquoi il importe de percevoir cette pièce tissée, la moussalia, sous l’angle d’une universalité où convergent et interagissent les différentes cultures.
L’auteure propose la tenue d’une rencontre entre les producteurs et concepteurs de tissages dans la région arabe qui ont fait de la moussalia la base de leur industrie. Un tel événement est de nature à étendre la commercialisation de ce produit chez les populations arabes qui en sont aussi les principales consommatrices. Il ne peut que contribuer au développement de ce tissage, répondre aux besoins locaux et tirer le meilleur profit de cet immense héritage qui remplit les musées consacrés au patrimoine traditionnel dans les domaines de l’ornementation orientale et des arts du tapis islamique.
Il est également important que la commercialisation de la moussalia se fasse dans le cadre de la protection des droits de la propriété intellectuelle, droits qui, s’ils étaient appliqués en toute rigueur aux tapis importés de Chine feraient clairement apparaître l’appartenance à la Turquie, à l’Iran, à l’ Égypte, à l’Inde de la plupart des figures et ornementations qui remplissent les maisons, ceux des musulmans en particulier mais aussi ceux d’autres communautés ou religions, et qui, toutes, puisent dans les conceptions picturales des tapis traditionnels qui font la gloire de tant de musées.