Revue Spécialiséé Trimestrielle

AL MAHFEL : SUR LA TRACE DES ANCÊTRES ET DE LEURS US ET COUTUMES UN EVENTAIL DE SYMBOLES ET DE SIGNIFICATIONS

Issue 48
AL MAHFEL : SUR LA TRACE DES ANCÊTRES  ET DE LEURS US ET COUTUMES  UN EVENTAIL DE SYMBOLES ET DE SIGNIFICATIONS

 

Dr. Zazia Barqouqi

Ecrivain(e). Tunisie

Les manifestations populaires festives constituent un terrain fertile et un terreau inégalable pour tout ce qui touche à l’héritage culturel collectif. S’y croisent en effet le sacré et le profane, le réel et l’imaginaire, en même temps que cohabitent croyances et savoirs et que se mélangent coutumes et traditions, le tout en une interaction fonctionnant selon des règles et des systèmes précis, dans le cadre de pratiques festives et rituelles collectives générant leurs propres représentations et leurs expressions symboliques. L’une de ces pratiques populaires est le mahfel. Un groupe de femmes revêtues de leurs plus beaux atours se réunissent à l’occasion d’une cérémonie telle que le mariage ou la circoncision pour former un cortège qui se rend à pied vers la maison où l’événement est célébré. Cette marche se déroule selon un rituel bien connu qui se transmet de génération en génération. Les femmes se couvrent la tête d’un large voile rouge qui est en général ce vêtement de la bédouine appelé el houli ou el hram. Cette sorte de voile est tenu serré sur les quatre coins de sorte à permettre aux femmes de marcher dessous tout en récitant les chants d’el mahfel dont les thèmes se réfèrent au milieu social et à l’environnement naturel aussi bien qu’à la cérémonie elle-même.

Le mahfel est organisé dans des circonstances et à des dates précises qui sont définies selon les us et coutumes héritées du passé. Lors des cérémonies de mariage, le mahfel se réunit uniquement à deux des différentes étapes qui jalonnent le rituel des épousailles. Le premier mahfel se déroule le jour d’el m’lak c’est-à-dire de la conclusion officielle du contrat de mariage qui s’accompagne de la récitation de la fatîha (la Sourate de l’Ouverture). Le deuxième mahfel a lieu le jour de la jahfa c’est-à-dire du mariage proprement dit, lorsque la mariée est conduite à la maison de son époux.

Un ensemble d’éléments se croisent lors du mahfel qui sont constitutifs de l’événement. Un groupe de femmes est choisi parmi celles qui excellent dans le chant et les youyous. On sélectionne ensuite des chansons propres au mahfel qui ont, dans l’ensemble, un rapport avec le cadre et l’événement lui-même. Ces chansons sont entourées de toue une série de rituels et de pratiques religieuses chargés de symboles et de significations puisant dans l’imaginaire collectif et se rattachant de façon essentielle à des moyens d’interlocution telles que l’expression verbale, la gestuelle, la forme ou la couleur. Ces moyens s’accompagnent à leur tour de la formulation de moralités capables d’émouvoir ceux qui en font usage, en suscitant en eux des images et des représentations mentales avec lesquelles ils interagissent, y retrouvant des finalités et des conceptions précises, venant s’ajouter aux coutumes et traditions qui entourent la cérémonie et qui ont un caractère festif, rituel et religieux auquel toute l’assistance adhère spontanément avec l’espoir d’y trouver une satisfaction liée au partage collectif.

A travers l’étude de cette manifestation appelée el mahfel et l’analyse de ses différents aspects, l’auteur(e) en est arrivée à la conclusion que de toutes les sociétés d’origine tribale sont les plus attachées à leur culture en dépit des mutations que celle-ci a pu connaître. Cette culture se fonde en effet sur des règles et des coutumes culturelles et sociales héritées de père en fils, stables et consensuelles que tous s’efforcent de respecter, œuvrant à en perpétuer les us et les traditions et à en observer les règles et les rites jusque dans leurs détails les plus infimes tout autant que les pratiques religieuses qu’elles appellent avec leurs symboles chargés de sens et de visions spécifiques à chaque société.

L’auteur souligne, enfin, que cette recherche sur le mahfel s’est moins concentrée sur la revue de certains aspects de la culture populaire que sur la mise en lumière des spécificités sociales, des représentations mentales et des pratiques festives et religieuses qui s’y expriment, avec toute la charge symbolique dont ils sont porteurs. Il y a là sans doute un chemin pour mieux comprendre et cerner notre héritage tout en renouvelant le lien avec nos aïeux, non pas par l’imitation mais par l’intellection et l’empathie.

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