ASPECTS FORMELS DE L’ORNEMENTATION DU TAPIS TUNISIEN
Issue 44
La fabrication du tapis (le mot tunisien est zarbiya, en arabe littéral on dit plutôt sajjad), que la laine en soit arasée ou formée de poils dressés verticalement, est considérée comme une des plus importantes pratiques artistiques. Le travail est effectué à la main sur la base d’un canevas de fils entretissés selon des croisements qui produisent des couleurs et des motifs représentant la plupart des éléments matériels et immatériels qui entourent l’être humain. Les motifs consistent en segments formels qui se répètent et se répondent en une grande variété de couleurs harmonieuses, s’équilibrant ensuite avec d’autres segments, identiques ou antagoniques, de façon à construire une unité complète qui embellit une bande ou garnit un coin ou un cadre. Ce type d’ornementation représente l’un des arts plastiques les plus importants à travers et au moyen desquels la plupart des productions artisanales acquièrent une valeur esthétique et fonctionnelle. "L’unité du motif est la base constitutive du dessin. On peut la définir comme un vide délimité par une ou plusieurs lignes entrecoupant d’autres, selon le genre d’ornement. Toutes les formes peuvent être utilisées dans le travail d’ornementation. On peut les diviser en deux types : unités ornementales géométriques et unités naturelles". Affirmant qu’on ne saurait dénombrer de façon catégorique les types d’ornementation ou les écoles dont relèvent les unes et les autres, l’auteur s’attelle à faire l’historique des différents motifs et les influences, en termes de civilisation de culture ou d’idéologie, qu’ils ont subis en Tunisie. Il tente, en même temps, de saisir les interactions entre l’ornementation, d’une part, et l’environnement local, méditerranéen et mondial.
La Tunisie a connu depuis l’antiquité nombre de grandes civilisations, à commencer par les Phéniciens et les Carthaginois auxquels succédèrent les Romains, les Vandales, les Byzantins puis la civilisation islamique qui s’épanouit dans ce pays – qui s’appelait alors l’Ifriqiya – sous les Aghlabides et continua à se développer jusqu’à nos jours, après avoir notamment connu l’occupation ottomane. Chacune de ces civilisations a naturellement laissé son empreinte sur l’art, la poésie ou l’architecture locales. Même s’il n’est pas aisé de déterminer avec exactitude les événements survenus à des époques éloignées et d’en dresser l’historique, les fouilles archéologiques ont contribué à résoudre bien des mystères liés à l’existence des anciennes populations et à extrapoler les attentes et les représentations qui prévalaient alors, ne serait-ce que de façon approximative et toujours sujette à révision. Il reste que certains aspects de la vie des anciens commencent aujourd’hui à prendre forme et consistance pour nous donner une vision certes incomplète mais qui aide à comprendre les apports successifs des différentes civilisations et à en expliquer les rencontres et les interactions avec d’autres civilisations appartenant à des régions éloignées de la planète.
L’ornementation témoigne du passage des civilisations. Elle constitue l’un des fondements de l’art, en raison de la variété des supports où elle s’est exprimée et de la diversité des espaces où elle s’est développée, qu’il s’agisse de bâtiments, de tissages, de poterie ou de productions métalliques. Peu importe, au fond, que le support soit souple ou rigide, l’ornementation a depuis les temps anciens obéi à des principes artistiques et structurels qui se sont constitués et fécondés depuis les âges les plus reculés pour apparaître à l’époque récente sous le couvert de courants et d’écoles artistiques. Le dessin et les formes plastiques sont nés sur les parois des cavernes avec l’homme préhistorique. En Tunisie, le Dr Mohamed Hassine Fantar affirme, dans son ouvrage La Lettre et l’image dans le monde carthaginois, que l’homme tunisien a acquis depuis les temps anciens les compétences techniques: "Les recherches ont montré, écrit-il, que le dessin est présent dans les différentes régions du monde punique. Les Puniques cultivaient aves soin et considération l’image et la couleur. A titre d’exemple, des dessins ont été découverts à Ochaz qui constituaient la base ornementale de tombeaux libyques".
Sourour Chtourou Milad
Tunisie