Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES CRITERES DE MESURE DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL

Issue 38
LES CRITERES DE MESURE  DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATERIEL

Dr Tarak el Melki

 

La mesure (ou mesurage) est une activité institutionnelle effectuée par une instance spécialisée et reconnue sur un plan international (comme le système ISO), régional (l’Union Européenne, par exemple) ou national (l’organisme marocain de mesure). Cette activité vise a créer une entente, un accord commun dans un domaine intellectuel, scientifique, technique ou économique, à travers l’élaboration de critères de mesure comportant des définitions, des conditions, des spécificités, des critères ou des normes pour telle matière, tel objet, telle opération ou tel instrument afin de parvenir à un degré idéal d’organisation, dans un domaine déterminé. Le système de mesure est ainsi devenu un moyen important de communication entre les utilisateurs, d’un côté, les producteurs, de l’autre. Il est désormais considéré comme l’une des manifestations de la mondialisation que connaît la planète, aujourd’hui.

Les intérêts des communautés humaines se sont en effet enchevêtrés, au cours de la dernière période, ce qui a amené l’ensemble des nations à essayer de trouver un moyen pour s’entendre, définir des formes de consensus et les traduire en autant de critères de mesure à caractère international qui soient reconnus par les entreprises et les organisations gouvernementales aussi bien que non gouvernementales. Ces opérations de mise aux normes, à l’échelle mondiale, ont été accélérées par l’adoption par l’ensemble des communautés humaines de systèmes de communication en réseau et l’apparition de techniques et de technologies nouvelles impliquant la mise en place de règles unifiées pour les échanges entre les utilisateurs.

On peut se demander jusqu’où on pourrait soumettre un domaine humain tel que celui du patrimoine culturel immatériel à un système de mesure et de normativité, sachant qu’il s’agit du domaine par excellence de la réflexion et de la diversité des points de vue. Comment un tel système, créé à la base pour définir des normes concernant les marchandises et les productions industrielles, peut-il prendre en charge le patrimoine culturel immatériel ? Ne faut-il pas considérer l’accord sur la conservation de ce patrimoine comme une sorte de mesure imposant des normes ou critères de nature à assujettir les pratiques relevant de l’héritage culturel aux chartes et conventions internationales ?

Dès lors que l’on parle des systèmes de mesure et des domaines concernés, le constat qui s’impose est que plus profonde est la pénétration de l’activité intellectuelle dans le travail, plus étroit le rapport de cette activité aux institutions et plus grand sera le besoin de la mesurer et d’en fixer la terminologie. Car seul le système de mesure permet de sortir du désordre terminologique et de la perte d’énergie qui en découle, et d’entrer dans le domaine de la science et de la rigueur qui permettent d’économiser les efforts. Ce principe s’applique avec force au patrimoine populaire, à travers ses diverses ramifications, comme on peut le voir à ces deux niveaux :

  • l’archivage du patrimoine est une opération technique dont s’acquittent des institutions gouvernementales et des spécialistes : sachant qu’il s’agit d’une action exigeant une planification stricte quant à la collecte de la matière et un accord préalable sur ce qu’il convient de documenter et d’archiver et sur ce qu’il faut laisser de côté, il est logique qu’un consensus se fasse entre les spécialistes sur les méthodes de collecte et d’exclusion avant de s’engager dans une telle opération – voilà qui nous place au cœur du système de mesure dont il est question dans cette étude ;
  • la plupart des matières relevant du patrimoine portent des noms différant d’une région à l’autre, selon les idiomes locaux ; la multiplicité qui caractérise la réalité linguistique et géographique du monde arabe est de nature à imposer au spécialiste du patrimoine l’apprentissage des différents dialectes afin de comprendre les différentes dénominations – chose irréalisable, d’où la nécessité d’élaborer une classification reconnue par les spécialistes afin d’unifier les descriptifs essentiels, un tel consensus étant en fait de nature à unifier les systèmes de repérage très précis des matériaux impliqués.

On peut, à partir de là, tirer deux conclusions principales :

  • les critères de mesure peuvent être classés en trois catégories : un système classique lié, dans une large mesure, à la biblio-économie et à la documentation (ex : le Thesaurus du folklore égyptien, le Thesaurus du patrimoine populaire marocain ou jordanien) ; un système moderne inspiré de technologies avancées comme le système sémiologique du web (ex : le Thesaurus de l’Association américaine du folklore, le Thesaurus culturel espagnol ou le Modèle de référence des concepts) ; si ces deux premiers systèmes reposent sur une philosophie de la documentation fondée sur l’axe ‘’conservation/document’’, le troisième système, celui du « Réseau des pratiques culturelles » de Jean du Berger accorde une grande importance qualitative aux manifestations vivantes du patrimoine culturel immatériel et a pour axe le couple ‘’entretien/action’’.

les Thesaurus arabes ont besoin d’être modernisés, à deux niveaux : d’un côté, unifier les efforts des spécialistes du patrimoine afin de dégager des critères de mesure unifiés qui soit reconnus par une organisation interarabe ; d’un autre côté, les Thesaurus existants ont besoin d’être mis à jour, tant au plan des contenus que des techniques utilisées, d’autant plus que les normes taxinomiques et ontologiques ont connu de grandes mutations avec l’apparition du système sémiologique du web.

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