Revue Spécialiséé Trimestrielle

L’EXCEPTION SALAH BEY

Issue 35
L’EXCEPTION SALAH BEY

Ahemd Khaskhoussi
Tunisie

Salah Bey est à juste titre considéré comme un phénomène, un homme qui a réussi, grâce à ses dons exceptionnels, à traverser d’innombrables champs du savoir – histoire, politique, anthropologie… –, ainsi que différents arts – littérature, musique, théâtre…
On ne peut en effet que s’étonner de voir à quel point la personnalité de Salah Bey a occupé l’esprit des gens et suscité en eux les réactions et les sentiments les plus passionnés. Beaucoup lui vouaient un véritable culte et ne cessaient d’évoquer son nom. A la suite de la mort tragique de Salah Bey, des femmes de l’est algérien ont porté en signe de deuil la noire melia (ample robe couvrant tout le corps dont les parties sont souvent attachées par des broches en argent). Cette  tradition s’est même maintenue jusqu’à nos jours.


Chose également étonnante, l’image de Salah Bey s’est imprimée dans la mémoire collective, devenant une sorte d’aiguillon pour la conscience des hommes et un clair défi aux vicissitudes du sort et aux aléas de l’époque.
En vérité, la popularité que ce monarque connut de son vivant n’avait rien de surprenant, eu égard aux grandes actions qu’il accomplit et aux réalisations qu’il laissa derrière lui, mais c’est le souvenir vivace que les peuples ont gardé de l’homme, après sa mort, qui suscite l’étonnement. Nous avons en effet affaire à un Bey populaire et à une œuvre qui a frappé les esprits et que la mémoire des générations a perpétuée. Un monarque qui est, de l’avis de l’auteur, digne d’occuper une place à part dans la culture populaire.
Pour toutes ces raisons, Salah Bey est perçu comme un phénomène qui a dans une sorte de mouvement horizontal transpercé les époques autant qu’il avait traversé les beaux-arts et les champs du savoir.
Lorsque la cité fut assiégée, que l’on eut tiré les portes et que le désarroi se fut emparé des hommes, Salah Bey sortit, la tête découverte et montant à l’envers son cheval. Pour ce qui est l’absence de tout couvre-chef, elle annonçait l’approche d’un trépas certain ; pour le cheval monté à l’envers il symbolisait le destin qui avait tourné le dos au Bey et à son règne. Le destin est souvent désigné en arabe par le mot dunia (littéralement le monde – comme dans les expressions «ce bas monde» ou «les choses de ce monde»), or dunia  désigne aussi ce qui est bas, ce qui humilie, ce qui pousse vers le bas. C’est, en vérité, le monde qui montre, d’un coup, sa face postérieure dans toute son obscène nudité, celle des félons, des traîtres et des comploteurs, de tous ces êtres sans foi ni loi sur lesquels on ne peut faire fonds.

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