Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA TRAGI-COMEDIE DANS LES MILLE ET UNE NUITS Etude sur l’interaction des genres littéraires

Issue 32
LA TRAGI-COMEDIE DANS LES MILLE ET UNE NUITS Etude sur l’interaction des genres littéraires

Tamer Fayez
Egypte

L’analyse segmentaire de trois contes des Mille et une nuits – le récit-cadre, le récit du savetier  et le récit du tailleur – aboutit à un ensemble de résultats que l’auteur regroupe en conclusion de son travail. Outre les résultats partiels auxquels conduisent les analyses de détail pour chacun de ces contes, on peut en effet synthétiser un ensemble de résultats obtenus dans le cadre de cette étude de la façon suivante :
• L’analyse montre l’existence d’un grand nombre d’indices qualitatifs où les nuits peuvent rencontrer les éléments dramatiques propres à l’écriture théâtrale, ou, du moins, receler un ensemble de caractères qui pourraient renvoyer à la représentation théâtrale, notamment la présence dans le recueil d’une narration dramaturgique préparant le récepteur à vivre les événements comme si ceux-ci se déroulaient devant lui. On peut dire la même chose des nombreux monologues qui émaillent le texte des nuits, et qui se rapprochent par leur fonctionnalité des monologues propres au texte théâtral.
•  L’analyse du conte-cadre fait apparaître le clair mélange qui existe entre les éléments relevant du registre tragique (notamment ceux liés à la grandeur des personnages qui mènent l’action), la progression des événements – qui se fondent, pour la plupart, sur le motif du meurtre – , et les éléments proprement dramatiques que les nuits ont graduellement introduit par la voix de Shéhérazade, à travers les développements et composantes des contes qui se ramifient à partir du récit-cadre. C’est cette construction qui fait du dénouement de ce récit premier un élément essentiel à la finalisation de sa structure tragi-comique, ce récit se terminant sur un dénouement heureux qui fait oublier au récepteur le tragique lié aux événements sur lesquels s’ouvre le conte, et où la trahison représente l’élément déclencheur de la narration.
Les deux contes (outre le récit-cadre) sur lesquels s’est porté le choix de l’auteur témoignent également, au vu de leur construction, d’une prédominance de l’élément tragi-comique qui se sépare souvent de la forme tragique, tout en développant des éléments où l’on peut reconnaître la forme dramatique moderne à laquelle se mêlent – en même temps – un ensemble de caractères propres à la comédie, caractères qui confortent l’hypothèse d’une proximité entre ces deux contes et la tragi-comédie.

Les composantes tragiques et comiques sont entrelacées dans les deux récits:
• Pour les éléments tragiques ils sont en rapport avec les souffrances sociales infligées par sa femme au savetier, en raison de sa faible personnalité et de certains aspects négatifs du caractère de son épouse; ces mêmes éléments apparaissant également chez le tailleur lorsqu’il tue par erreur le bossu, estropie le jeune Bagdadien et blesse de diverses façons les six frères.
• Quant aux aspects comiques, ils apparaissent dans le récit à travers cette amusante diversion que produit l’arrivée de ce personnage féminin, la deuxième épouse du savetier, laquelle est tout à fait différente de la première, en plus du rôle positif joué par le djinn pour sauver cet homme des griffes de sa femme, l’aider à trouver le trésor qu’il convoitait, et, grâce à cela, lui épargner les foudres de l’autorité. Les aspects comiques de l’histoire du tailleur de Bagdad ressortissent aux fortes contradictions qui opposent, d’un côté, le caractère et l’itinéraire de cet homme, et, d’un autre côté, ceux du jeune Bagdadien, ainsi qu’au dénouement heureux du récit qui atténue le début tragique d’un conte s’ouvrant sur un meurtre commis par erreur.
Cette étude pourrait servir de base à une importante proposition théorique relative à la nature du genre théâtral  ainsi qu’à celle du genre tragi-comique,  proposition que l’on pourrait dégager de la définition, à la fin de l’étude, de la notion de tragi-comédie narrative (ou de récit tragi-comique). Le propos de l’auteur se rapporte en fait à ce type de texte narratif qui recèle dans sa forme et son contenu un ensemble d’éléments suscitant chez le récepteur des émotions tragiques, mais aussi d’autres éléments qui sont de nature à introduire une «détente» propre à atténuer ce sentiment tragique. C’est à cet ensemble de techniques narratives qui font la jonction entre tragique et comique que se rapporte cette proposition, étant entendu que ces techniques varient selon le genre narratif, perçu dans sa totalité et l’ensemble de ses présupposés, mais aussi en fonction de l’acte créateur de chaque écrivain à l’intérieur de ce genre. On peut dire de ce mixte tragi-comique que l’on trouve dans Les Mille et une nuits qu’il représente une forme d’hybridation entre la tragédie – avec ses diverses composantes – et la comédie, et que cette alliance des «contraires» est l’un des caractères dominants de ce recueil.  

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