Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES SIGNES ET LES SYMBOLES DANS LES VILLAGES DE MONTAGNE DU SUD TUNISIEN

Issue 27
LES SIGNES ET LES SYMBOLES DANS LES VILLAGES DE MONTAGNE DU SUD TUNISIEN

On a longtemps parlé de la culture populaire comme d’une forme d’expression ennemie du mouvement de l’Histoire. Tributaire de la mémoire, de l’imagination et de la légende, cette culture est en soi une forme de rébellion contre le temps chronologique, une sorte de tentative de restaurer l’instant du commencement dans toute la pureté de ses modalités originaires. C’est pourquoi ses récits se jouent du temps historique, effaçant de la mémoire des époques entières, en inventant d’autres, de sorte que l’enchaînement linéaire des événements se perd et qu’une tout autre continuité relevant du mythe s’y substitue qui s’organise autour de personnages et d’événements où le groupe aime à voir sa véritable Histoire. Dans une telle représentation populaire du cours de l’Histoire les détails finissent par se perdre car la durée est, ici, une durée absolue qui prend moins en charge les tenants et aboutissants de la chronologie qu’elle ne se meut à l’intérieur de structures absolues comme on le voit dans la légende et le conte merveilleux de la tradition populaire.

 

Tout autant que la mémoire des personnages, celle des événements ne peut résister longtemps au travail d’usure de l’Histoire. Si la mémoire est par définition déformation et sélection, comme le dit Hallfax, c’est au niveau de son rapport à la durée et aux manipulations qu’elle y opère que cela apparaît le plus nettement. La durée est dès lors recomposée de sorte que le passé devient création et invention bien plus que véritable continuum historique s’étendant vers le présent à travers la mémoire.

Toutefois, la collection de signes et de symboles liés à la région que l’auteur étudie dans ce travail constitue, au contraire de ceux qui se rencontrent habituellement dans la culture populaire, une exceptionnelle célébration de la durée chronologique. Les notations linguistiques et numériques y désignent en effet des époques précises, si bien que les récits se présentent comme autant de chroniques détaillant les événements, les circonstances, les personnages en les replaçant avec la plus grande minutie dans leur cadre historique véritable.

Les détails gravés au plafond des bâtiments illustrent en fait une Histoire humaine avec sa chronologie face à une Histoire inscrite dans l’absolu et le sacré. Des événements, des personnages, des éléments appartenant au milieu local ont été consignés qui font de ces détails un véritable registre sur lequel l’historien peut faire fonds pour écrire l’Histoire de ces sociétés locales. Voilà qui nous incite à procéder à une révision critique de la théorie selon laquelle les sociétés modernes auraient le monopole du savoir historique et à concevoir la possibilité d’écrire une Histoire positive, quand bien même les sources écrites viendraient à manquer, comme c’est le cas pour les sociétés orales, du moment que celles-ci ont, elles aussi, conservé leur Histoire sur des supports non écrits, tels que les tatouages sur les corps, les dessins muraux, les œuvres poétiques, les collections de meubles et de tissus traditionnels, les pratiques orales…

Ces dessins ne constituent nullement des inscriptions sans objet que l’on voudrait considérer comme de simples gesticulations ou réactions désespérées exprimant un état d’impuissance face à la nature et aux dures épreuves de la vie, ils reposent, au contraire, sur une forme de rationalité, y compris dans l’acception instrumentale du mot. En d’autres termes, il s’agit non pas d’une conception mentale des choses ou d’une représentation logique abstraite du monde mais d’un outil pour traiter des sujets concrets en vue de réaliser des objectifs palpables. S’agissant d’exercices techniques, les signes et les symboles sont autant de témoignages de savoirs et de compétences artistiques et architecturales où s’affirme une belle maîtrise de l’utilisation des matériaux fournis par la nature. La chaux, le gypse, le gravier, la pierre, la terre, le bois qui sont les principales composantes des constructions traditionnelles de la montagne sont puisés dans l’environnement naturel local par le recours à des techniques connues qui ont mûri à travers la pratique des générations et qui viennent s’ajouter aux principes formels qui président à l’exécution des dessins, qu’il s’agisse de symétrie, d’équilibre ou de relativité.


Imed Ben Soula
Tunisie

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