Revue Spécialiséé Trimestrielle

FORME ET SIGNIFICATION DU RECIT LEGENDAIRE Le conte d’Al Jena’ada comme exemple

Issue 26
FORME ET SIGNIFICATION DU RECIT LEGENDAIRE Le conte  d’Al Jena’ada  comme exemple

Le conte d’Al Jena’ada nous vient d’Arabie Saoudite. Il s’agit, pour l’essentiel, de l’histoire d’un pauvre pêcheur qui reçoit en cadeau une caisse de poissons dont l’un se transforme en une belle jeune fille qui se met au service de cet homme sans qu’il s’en aperçoive. Mais, dès qu’il découvre cette personne, le pauvre pêcheur va l’aimer et la traiter comme sa propre fille. Il la met notamment en garde contre une sorcière qui habite dans la même ville. Un jour que la jeune fille est occupée à coudre le vent fait s’envoler la pièce de tissu sur laquelle elle travaille. La voyant sortir pour récupérer son bien, la sorcière lui jette un sort : la jeune fille va désormais passer ses journées à dormir et ses nuits à rester éveillée. Le pêcheur en est profondément affecté, il décide de l’enfermer dans un mausolée de sucre qu’il a bâti pour elle. Un jour qu’il faisait sa promenade en ville, le roi voit son cheval s’arrêter net et se mettre à brouter le mausolée. Il découvre alors l’existence de cette jeune fille et apprend son histoire avec la sorcière. Or le roi avait secrètement épousé la sorcière et avait eu d’elle un enfant de trois ans. Le père et l’enfant se mettent à deux pour arracher à la sorcière les serviettes ensorcelées qu’elle cachait en son sein et réussissent ainsi à défaire le sort jeté à la belle enfant. Le roi fait ensuite semblant d’inviter la sorcière à déjeuner et en profite pour la jeter dans une marmite d’eau bouillante en lui faisant croire qu’il s’agit d’un plat de mouton. Telle est la fin de la méchante sorcière, le royaume est débarrassé de ses maléfices et tous vont dès lors vivre dans la paix et le bonheur.

 

 Le conte d’Al Jena’ada est à classer dans le genre du récit légendaire car sa structure diffère de celle des autres types de récits, en particulier des contes populaires. Sa structure est en effet plus proche de celle des formes littéraires et présente des points communs avec l’univers du rêve et de  l’imagination qui donne toute sa cohérence au récit légendaire. Or ce récit relève entièrement de la littérature, alors que le conte populaire est profondément imprégné de réalité vivante et n’a pas un caractère purement littéraire.  

On trouve, en fait, dans certains ouvrages consacrés à la littérature populaire,  des confusions entre les deux genres du conte populaire et du récit légendaire, les critiques mettant sous la même rubrique de « contes populaires » tout ce qui relève du vieux patrimoine narratif. Certains chercheurs considèrent même les récits animaliers et les histoires de démons comme des récits légendaires, sans procéder aux vérifications nécessaires, notamment en ce qui concerne les fonctions des personnages, qu’ils soient imaginaires ou réels, de sorte qu’aucune distinction n’est faite entre littérature populaire et récits légendaires.

L’étude s’inspire certes, par moments, de ce type de recherches où les deux genres se trouvent confondus, mais seulement là où ces sources répondent à ses propres finalités et à la construction du sens qu’impose la lecture du récit légendaire.

Ce récit est en soi une œuvre littéraire dans la mesure où il a pour base un texte dont les constituants se fondent en une construction harmonieuse, même si les principes d’harmonie et de cohérence se cachent dans les profondeurs de la trame narrative, du fait de la prééminence des composantes imaginaires et des événements qui sortent de l’ordinaire. Pour autant que l’œuvre littéraire constitue un tout harmonieux dans sa structure, il nous faut en effet postuler que la signification de chacun de ses éléments constitutifs (c’est-à-dire de chacun de ses segments narratifs) ne peut être perçue en dehors de sa relation avec les autres éléments. Le récit légendaire, en tant qu’il est un genre littéraire qui a ses spécificités, constitue en effet une structure unificatrice où la forme est liée à un contenu spécifique, à savoir l’ordre des segments qui obéissent à une temporalité interne au récit ; et où le contenu a, lui aussi, une forme qui lui est propre, à savoir celle de la succession des événements et leur interaction sociale et intellectuelle.

Sur cette base, l’auteur étudie  Al Jena’ada en tant qu’œuvre littéraire parfaitement structurée et ouverte sur de multiples significations ; il examine les éléments sur lesquels le récit fonde son architecture harmonieuse et dont il tire son principe de cohérence ; il interroge enfin la façon dont le texte génère du sens grâce à ses propres composantes et à son système de renvois et de références.

Intissar Qaed al Banna
Bahreïn

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