Revue Spécialiséé Trimestrielle

ETHNOGRAPHIE DE LA MEDECINE TRADITIONNELLE : LE CAS D’UN GUERISSEUR SPECIALISTE DU NERF SCIATIQUE AU CENTRE DU MAROC

Issue 23
ETHNOGRAPHIE DE LA MEDECINE TRADITIONNELLE : LE CAS D’UN GUERISSEUR SPECIALISTE DU NERF SCIATIQUE AU  CENTRE DU MAROC

L’homme n’a cessé de rêver de vivre à l’abri de toute forme de maladie susceptible de l’affecter. Il a constamment cherché à dominer les maux pouvant entraver l’accomplissement de ses fonctions au sein de la société, s’essayant, depuis les temps les plus anciens, à des techniques de guérison qui varient selon les cultures et qui ont donné effectivement naissance à ce que le spécialiste français Jean Bonnot appelle « la pluralité des systèmes médicaux historiquement et anthropologiquement recensés ». Ces systèmes sont globalement ramenés à deux types de pratique : la médecine moderne et la médecine traditionnelle.

Cette étude porte sur les conditions anthropologiques et sociologiques générales qui font que le système traditionnel continue de s’auto-reproduire en dépit de l’hégémonie des institutions médicales modernes. L’étude  part des interrogations suivantes : comment la médecine traditionnelle appréhende-t-elle les affections touchant le nerf sciatique ? Quels sont les fondements de sa légitimité et les facteurs de sa pérennité ? Quels rapports entretient-elle avec système médical moderne ?
Les rapports internationaux se fondent sur une définition générale exhaustive de la médecine traditionnelle. Ainsi le Rapport sur « la stratégie de l’OMS face à la médecine traditionnelle, pour la période 2OO2-2005 » définit cette pratique médicale comme suit : « Le terme médecine traditionnelle a une portée universelle ; il désigne les systèmes de médecine traditionnelle, comme la médecine traditionnelle chinoise, l’ayurvida indienne ou la médecine arabe ; il s’étend, en même temps, aux formes populaires de guérison. La médecine traditionnelle comprend, d’une part, les traitements médicamenteux qui se basent sur les extraits végétaux, animaux ou minéraux ; d’autre part, les traitements qui se passent pour l’essentiel de tout médicament, comme c’est le cas pour l’acupuncture ou les traitements manuels ou spirituels. »
Cette définition a été adoptée en 1978, après une attente qui a duré vingt ans, par la Conférence d’Almaty (Alma Ata) portant sur « Les modes primitifs de guérison », Conférence placée sous le mot d’ordre de : « La santé pour tous à l’horizon 2000 ».
L’auteur se penche, dans cette étude, sur quatre aspects de l’approche médicale traditionnelle de la « sciatique » : l’espace de l’exercice médical et son organisation ; les fondements de la légitimité du traitement ; la représentation de la nature de la maladie et les protocoles du traitement ; enfin, les mécanismes de commercialisation et les rapports à la médecine moderne.
Concernant le premier aspect, il apparaît que le traitement repose sur une organisation collective rigoureuse, de type coopératif, qui garantit la bonne marche du processus de guérison, tant au niveau de la relation des malades les uns aux autres qu’à celui de la relation de ces malades au guérisseur et à ses collaborateurs.
Pour le deuxième aspect, il apparaît que la baraka (pouvoir surnaturel) et le professionnalisme (le ‘arf – le savoir, l’autorité qui vient de l’expérience) dont jouit le guérisseur, d’un côté, et la niya (la foi, la confiance) du patient, d’un autre côté, constituent les deux  bases complémentaires du processus de guérison. Il est important de noter que ce traitement est considéré comme se situant, en premier lieu, dans la lignée de la médication prophétique, et cela à travers le fasd qui est une forme d’épilation opérée au moyen du massage par le skhoun (liquide chaud), suivi de l’utilisation du henné selon la technique héritée de la médication prophétique. Il faut souligner à cet égard qu’il existe une réelle différence entre la méthode dite prophétique, telle que décrite dans les récits traditionnels, et celle attribuée au saint homme Si Hassine. Il faut également noter que le guérisseur a une claire vision de la nature du mal et qu’il s’appuie sur une définition de cette affection ainsi que sur un diagnostic et des protocoles de guérison. Cette approche médicale se fonde, enfin, sur des techniques commerciales ayant pour base les réseaux sociaux, lesquels fonctionnent au moyen du bouche à oreille et de la communication directe. La clé de voûte de ce travail de « marketing » consiste en une présentation de la médecine moderne comme une approche impuissante à guérir cette maladie. Et c’est cela qui confère sa légitimité en dernière instance à la médecine traditionnelle et explique la pérennité de cette pratique sociale.

Younes Loukili
Maroc

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