Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA CULTURE POPULAIRE : LE MOI FACE A L’AUTRE

Issue 23
LA CULTURE POPULAIRE : LE MOI FACE A L’AUTRE

L’étude porte sur le patrimoine et les mutations qu’il a connues du fait que nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant de l’histoire de la culture populaire. Les efforts consentis pour conserver, documenter et présenter sous un jour nouveau certains éléments du patrimoine immatériel afin qu’ils puissent faire face aux exigences de la compétitivité, dans un monde qui ne cesse de changer, représentent en eux-mêmes un défi d’importance.

 

 

 

Il est devenu nécessaire de chercher des critères et des approches concrètes plus réalistes dans la prise en charge des questions liées à la préservation du patrimoine, sachant qu’il n’existe pas un mécanisme unique valable pour tous les peuples et que les mécanismes mis en place par les organisations internationales doivent être réévalués à la lumière des résultats donnés par ces mécanismes dans les différents pays. Le caractère spécifique de la mission dévolue aux institutions de recherche et à ceux qui travaillent sur le patrimoine n’a pas moins d’importance que l’établissement d’un état des lieux pour ce qui est du patrimoine et de son évolution entre stabilité et changement.
Pour avancer sur la voie d’une solution à ce problème aigu, il convient:
- Premièrement: de revoir la situation des institutions de recherche ainsi que celle des centres en charge de la collecte, de l’étude et de la documentation du patrimoine, et de doter ces structures de cadres formés et capables de s’adapter aux évolutions des méthodes de la recherche et des applications des programmes et autres outils offerts par les technologies modernes; ces cadres doivent être imbus de l’idée que le travail dans le domaine du patrimoine repose sur deux piliers dont l’un est la maîtrise des théories scientifiques associée à la valeur personnelle du chercheur, et le second la maîtrise des technologies modernes à travers leurs multiples applications afin de développer les connaissances dans ce domaine;
- Deuxièmement: la mise en œuvre de politiques à long terme qui ouvrent la voie à un travail de reproduction du patrimoine garantissant l’insertion de matières liées à la culture populaire dans les programmes scolaires ainsi qu’une plus grande présence du patrimoine dans les médias, dans la publicité pour le tourisme et dans les autres supports de la communication;
- Troisièmement: réglementer les échanges culturels et se dresser devant les politiques d’envahissement du paysage culturel suivies par certaines sphères culturelles à l’encontre d’autres cultures ; il faut prendre garde, ici, au fait qu’une telle action ne peut se fonder sur la contrainte mais, au contraire, sur un effort de sensibilisation des peuples à la nécessité de mettre à profit leurs propres richesses culturelles, et d’en faire une source d’inspiration plutôt que d’être les consommateurs passifs de formes culturelles stéréotypées venant d’ailleurs et qui s’avèrent, en fin de compte, destructrices de la diversité culturelle.
C’est pourquoi nous devons joindre notre voix à celle de Claude Lévi-Strauss qui a lancé cet appel du haut de la tribune de l’UNESCO: «Les peuples doivent limiter leurs échanges culturels et garder une certaine distance entre eux.» Tout en sachant combien il est difficile de concrétiser cette idée, il faut reconnaître que l’évolution des outils et méthodologies de la recherche permet divers aménagements en la matière car le spécialiste peut désormais faire la distinction entre patrimoine authentique et apports étrangers et, dès lors, mettre le doigt sur les interactions, en signaler l’emplacement et l’étendue et opérer un traçage qui permet de suivre l’itinéraire emprunté par l’élément allogène.
C’est ainsi que nous nous préparons à reconnaître que le mouvement horizontal par lequel le patrimoine a circulé d’un groupe à l’autre, à travers le monde, est une donnée inséparable de l’histoire de l’humanité et de ses pérégrinations d’une contrée à l’autre. Les idées, les croyances, les us et coutumes, les savoirs, les poésies, les récits, fictifs ou véridiques, sacrés ou profanes, ont circulé en même temps que les marchandises dans les convois liés au commerce, à la guerre ou à la conquête. Sans parler des échanges intersubjectifs qui, au long de l’histoire, ont fait qu’il s’est toujours trouvé un « moi » qui regarde un « autre », tantôt avec admiration, tantôt avec effroi, sans pouvoir jamais s’empêcher d’entrer en interaction avec lui et, partant, de porter atteinte à ce que nous appelons « l’équilibre culturel ».
On peut affirmer que le patrimoine n’a de fait jamais su évoluer en se confinant à l’intérieur de limites clairement établies. La question n’est pas de savoir s’il faut s’attacher à l’héritage dans toute sa pureté soit y renoncer. Car l’idée d’un patrimoine à l’état pur est une vue de l’esprit, une simple hypothèse : l’histoire est faite d’une perpétuelle recomposition des données patrimoniales ; c’est un mouvement circulaire où chaque donnée apparaît, évolue et emprunte aux autres cultures avant de revenir au point de départ, chargée de tous les apports venus avec les vents du changement, au gré des circonstances historiques qui jouent, à tel ou tel moment, le rôle de « l’autre ».

Nahla Abdallah Imam
Égypte

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