Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES ARTS PRATIQUES PAR LES TROUPES FEMININES AU BAHREIN

Issue 21
LES ARTS PRATIQUES PAR LES TROUPES FEMININES AU BAHREIN

La tribu a déterminé le cadre général à l’intérieur duquel il est permis à ses membres de se mouvoir pour manifester leur joie et instaurer un climat festif. Les arts pratiqués à cette occasion sont régis par un modèle restrictif de performance à l’intérieur de formes stéréotypées. Aussi ne traduisent-ils pas, d’un côté, la totalité des rites festifs chez l’ensemble des catégories sociales, et, d’un autre côté, ne sont-ils pas capablesde s’adapter et d’atteindre à la simplicité nécessaire pour répondre aux besoins innés des hommes quand il s’agit de laisser éclater leur joie ou des’immerger dans liesse collective au moyen de la musique qui les aideà s’épanouir et à se libérer des déterminismes de la vie quotidienne. Faut-il, par ailleurs, parler du simple désir qui est en chacun de chanter, de danser, de satisfaire les aspirations artistiques tout instinctives qui sont en lui, au moyen de textes célébrant la beauté, la nature, les sentiments irrépressibles, les joies et les peines de l’amour,  dans une société qui impose des lois et des coutumes strictes, interdisant à l’aimé de rencontrer celle qu’il aime et dressant bien des obstacles entre l’homme et la femme ?

 

Sur un autre plan, la société a développé de nombreuses pratiques sociales qui exigent célébrations, manifestations festives et exhibitions publiques, ainsi qu’on le voit lors des mariages, des fêtes, des cérémonies de circoncision ou des offrandes religieuses. De là est né le besoin de faire appel à des groupes de chanteurs, notamment ceux qui se consacrent aux chants populaires fondés sur des textes poétiques en arabe dialectal qui peuvent servir dans des cérémonies, tel que le mariage.

Cette tâche a été limitée à un certain nombre de musiciennes et de chanteuses en raison du besoin qui s’est fait sentir de célébrer tel ou tel événement par le chant et la danse, mais loin de ces spectacles publics de danse où seules comptent la performance et les exhibitions masculines, dans une atmosphère de bruit et de passion. Dans ce cadre, une place de choix a été donnée, à la mourada(musique en rapport avec une idée de volonté) qui relève du patrimoine de la tribu et où la performance témoigne de cette innocence enfantine et spontanée qui s’accorde avec la simplicité de la ligne mélodique et de la construction rythmique. A l’art de la mourada est venu s’ajouter celui de la ‘ardha (exhibition), l’un et l’autre étant réservés aux jeunes, hommes et femmes, car ces arts constituent l’héritage transmis, de génération en génération,au sein de la tribu. Le besoin est dès lors devenu de plus grand de confier à la sage-femme, qui joue un rôle essentiel dans le développement démographique de la tribu, la transmission dans les occasions festives de cet héritage, et cela pour les raisons suivantes :

1 – L’absence de règles et de traditions tribales interdisant à la sage-femme de pratiquer les arts du chant et de la danse.

2 – Les capacitéspropres auxsage-femmes en matière de performance vocale ou rythmique, les personnes d’origine africaine étant naturellement dotées de grandes dispositions pour le chant et la danse.

3 – Le fait que les rites du mariage soient liés à la femme et aux préparatifs précédant les cérémonies impose cette présence féminine. 

La troupe de musiciennes se compose de vingt membres, voire plus, dont l’âge va de 30 à 60 ans. Les rôles sont répartis en fonction de l’expérience et de l’âge de chacune. L’aînée est appelée raïssa(présidente), elle doit avoir assez d’expérience et de connaissances en ce qui concerne la troupe et ses membres pour en assumer la direction. Il arrive quelquefois que la raïssasoit une femme jeune, mais elle doit toujours avoir une connaissance approfondie du groupe qu’elle ne peut présider qu’avec l’accord des autres membres. La troupe choisit ensuite une vice-présidente qui a pour rôle de remplacer la raïssa, en cas d’absence ou de maladie. D’autres membres sont également désignées en fonction de leur expérience pour conseiller la présidente et sa vice-présidente. Elles sont appelées les karassis (chaises). 

Chacune de ces femmes répond au nom dejaïda qui signifie celle qui est engagée au service de la troupe. Celle-ci se réunit chez la raïssa dont la maison accueille les réunions du groupe. Les frais de réception et d’hospitalité qui en découlent font qu’une part symbolique, appelée qlata, est retirée du montant global du contrat conclu avec la famille concernée par la célébrationet octroyéeà la présidente. La qlata est également supposée couvrir l’achat et l’entretien des instruments de musique. La raïssa se charge de conclure oralement les contrats relatifs aux cérémonies de mariage. Cette opération  s’appelle maqat’aa(du verbe taqata’aqui signifie « se croiser ») car il s’agit d’une négociation où la raïssa s’efforce d’obtenir le meilleur cachet, lequel est arrêté à l’instant où « se croisent » les propositions formuléespar chacune des deux parties. Le montantrestant est ensuite réparti entre les membres de la troupe, en fonction de l’importance et du rang de chacune.

La raïssa  peut également être choisie selon la procédure de la désignation. C’est notamment le cas lorsque la responsablede la troupe nomme l’une des autres femmes pour lui succéder. Celle qui assumera alors le rôle de raïssa sera souvent une des filles ou des parentes de l’ancienne responsable. Ce type de transmission héréditaire ne peut se faire que dans un seul cas de figure : lorsque l’ancienneraïssaest une chanteuse de grand talent qui a réussi à transmettre son art à sa fille ou à l’une de ses parentes, faisant d’elle une artiste assez performante pour devenir l’interprète vedette de la troupe. Une telle procédure vaut surtout pour les troupes dont les membres appartiennent à une même famille ou sont, du moins pour certaines, proches de cette famille, soit qu’elles viennent de la même région du pays, soit qu’elles y soient liées par une solide amitié. 

Les troupes  féminines de musique populaire participent à la célébration de cérémonies de mariage, de fêtes religieuses, d’offrandes ou de cérémonies de circoncision, mais c’est dans les mariages que ces groupes (ou ‘uddas) opèrent le plus souvent, notamment lors de la hinna (cérémonie traditionnelle où différentes parties du corps de la mariée sont enduites de henné), de la nuit de noce, de la matinée du mariage proprement dit, ou de la sortie de la mariée lorsque celle-ci quitte la maison familiale pour celle de l’époux, ce dernier rite des épousailles étant appelé al hadiya (le cadeau, l’offrande).  

Khalid Khalifa

Bahreïn

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