Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA DIALECTIQUE DU SACRE ET DU PROFANE DANS LES JEUX SCENIQUES AU MAROC: L’EXEMPLE DE LA REGION DE L’OUEST

Issue 21
LA DIALECTIQUE DU SACRE ET DU PROFANE DANS LES JEUX SCENIQUES AU MAROC: L’EXEMPLE DE LA REGION DE L’OUEST

L’histoire des différentes formes de spectacles dans la région ouest du pays,avec toutes ses tribus, s’inscrit dans le prolongement de celle, plusgénérale, du spectacle au Maroc, et,  plus largement, de la culture arabedans sa totalité. Ce qui signifie, en fait, que toute forme de spectacle plonge ses racines dans une culture marocaine qui était vivace et s’était perpétuée à travers une lutte perpétuelle avec le mouvement de l’histoire, les aléas de la civilisation et l’évolution des manifestations, coutumes et traditions sociales.

 

La réalité du spectacle dans la partie ouest du pays est celle des rites liés aux différents types de spectacle, lesquels constituent un héritage artistique oral transmis de père en fils. Dans son essence, le spectacle reprend certains aspects de jeux scéniques ayant une portée comique, proches de la forme théâtrale, comme c’est le cas pour les épisodes du Cycle d’Abidat Ar Rimma, les séances de récitation réunissant les maîtres récitants du Saint Coran, les contes et récits des veillées collectives, les rites des confréries religieuses (Hamadchas, Jilalas et Aissaouas), rites qui paraissent primitifs et étranges, tels ceux de la hadhra (présence collective), du tahayyour(expression de la perplexité), la chute à terre ou la marche nu-pieds, qui, tous, relèvent de la problématique du profane et du sacré.

Il existe, en outre, dans cette région occidentale du pays, certaines coutumes et traditions liées à des célébrations saisonnières telles que sab’aboulabtayen, souna,tarinja ou jbid al habl. D’autres se rattachent au pâturage et à l’agriculture, tels que ceux dechira, haba, tars, ghommidh al bidh ou hah. Soulignons, ici, que certains de ces spectacles ont disparu et ne font plus partie du patrimoine de la culture populaire dans la partie ouest du pays, et que d’autres se retrouvent sous la même forme chez toutes les tribus du Maroc, comme c’est le cas, par exemple, pour al halqa (la ronde) ou les cérémonies de mariage ou de circoncision ainsi que pour les fêtes religieuses, les seules différences ne concernant que certaines exceptions, tels que les spectacles de jbid al habl ou duhah.

L’art du spectacle se matérialise d’une façon intensive dans la ronde, en tant que manifestation liée, dans l’imaginaire de la société gharbaouie (de l’ouest), aux fidèles des cheikhs locaux, maîtres de l’art d’Abidat Ar Rimma, lequel était fortement présent au cours des années cinquante et soixante du siècle dernier et dont les activités s’étendaient à toutes les tribus de la région et se déroulaient dans les grandes places desvilles de l’ouest, comme la place de l’Hôpital de Moulay Hassen, celle de Moulay Youssef, celle de la Khayria, à Kénitra ou celle de Al Joutia, à Sidi Sliman. Il en allait de même des souks de ces villes qui constituaient de vastes espaces de la région du gharb (ouest) et pourraient être considérés comme la mémoire vivante de cette région – celle où se trouve inscrite la magie du lieu où étaient organisés les spectacles de la ronde. Citons, ici, pour commencer, les grands souks, celui d’alAhad(marché du dimanche) OuladJelloul, à Jama’t Sidi Allal al Tazi, Souk Al Ithnain (marché du lundi) à Kénitra, et Khamis Al Ramila, à Jam’at Dar Al Kadary, Souk Irbi’a al Gharb (marché du mercredi du Gharb), à Sidi Aissa, Thoulatha (marché du mardi) de la ville de Sidi Yahia et d’autres marchés, grands et petits. 

Le spectacle de lahalqa(ronde) dans la région est l’un de ces spectacles comiques dont la succession des épisodes étaient très appréciés par les habitants de la région, citadins aussi bien que ruraux, qui étaient toujours curieux de connaître la suite des récits.

 Et c’est bien cette image qui est restée dans les mémoires, car lahalqa jouait le rôle d’un petit théâtre populaire ambulant fondé sur l’oralité dont les représentations se déroulaient, épisode par épisode, dans un vaste espace circulaire où se réunissaient hommes, femmes, enfants, ouvriers, commerçants, visiteurs, passants et autres personnes représentant les différentes catégories sociales. L’animateur de la halqa présentait les différents rôles en un spectacle social auquel participait le public, lequel formait un cercle autour de cet aède et devenait à son tour partie du spectacle.

Ce type de spectacle est la marque de la société bédouine, mais les choses ont changé, lorsque l’emprise de la colonisation a transformé le patrimoine marocain authentique en un cérémonial folklorique dénaturé, après avoir enfermé les spectacles populaire entre les murs en béton des salles de théâtre et de cinéma ou sous les chapiteaux des cirques. 

La ronde a dès lors fait place à un spectacle où le public installé en demi-cercle assiste à une représentation qui a beaucoup perdu de sa dimension artistique patrimoniale et des ses spécificités intellectuelles et culturelles. 

Moussa Fakir

Maroc

 

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