Revue Spécialiséé Trimestrielle

Pour Enraciner Les Valeurs Du Patrimoine Dans L’être Meme Des Nouvelles Générations

Issue 20
Pour Enraciner Les Valeurs Du Patrimoine Dans L’être Meme Des Nouvelles Générations

Enraciner les valeurs patrimoniales, qu’elles soient d’ordre esthétique ou moral, signifie renvoyer une culture populaire à ce qui en constitue les racines, les sources premières et les composantes fondamentales, tout en mettant en évidence les apports de son interaction avec les autres cultures, à travers les différentes étapes de son histoire, c’est-à-dire à travers ce long cheminement qui va jusqu’à notre époque. Est-il besoin de souligner que notre culture populaire authentique fut, à sa racine même et à travers ses sources nationales premières, tout à la fois souple, vivace et réceptive dans son interaction avec le patrimoine universel sous toutes ses formes. 

Le patrimoine populaire constitue une notion générale s’étendant à différents axes du langage, oraux pour certains, musicaux et chantés pour d’autres, relevant pour d’autres encore de la gestuelle et du mimétisme ou de traditions, coutumes, savoirs, croyances, techniques manuelles ou industrielles, qui constituent dans leur ensemble des productions humaines aux multiples racines et ramifications. Certaines de ces productions portent la marque de l’authenticité et sont un reflet de leur milieu, d’autres ont été amenées par les flux migratoires des populations voisines, d’autres encore proviennent de notre interaction avec les pays lointains par lesquels sont passées les nefs sur lesquelles voyageaient nos ancêtres. Tous ces apports sont venus se mêler et se confondre avec ce qui constitue l’humus de notre être collectif où ils ont trouvé leur aire stable pour ensuite influer sur tout ce qui nous entoure. Ces apports, nous pouvons les repérer, en reconnaître, dans chaque cas, la source, mais nous ne saurions les nier ou les arracher à ce qui fait le ciment de notre patrimoine populaire car ils ont été remodelés et transformés, et peut-être même ont-ils changé de fonction.

On n’a rien dit de nouveau lorsqu’on a souligné que les cultures de l’Afrique, de la Perse ou de tous les autres pays qui ont connu la pénétration arabe ont laissé leur empreinte dans le patrimoine de la nation, au point que ces différentes cultures sont devenues autant d’affluents essentiels qui ne cessent d’irriguer la culture arabe mère, voire la culture arabo-islamique dans sa totalité. Il s’agit là d’une évidence car, même si ces apports multiples n’ont pas été, pour la plupart, archivés et documentés de façon méthodique, ils n’en restent pas moins inscrits au plus profond de l’âme de la nation qui les a retravaillés et reproduits autant qu’elle les a intégrés et intériorisés, les transmettant oralement d’une génération à la suivante et d’un moment de l’histoire à un autre. 

On ne saurait en effet nier que l’origine de la culture arabe, en son être profond et en ses principales composantes, est l’oralité. 

La meilleure preuve en est le caractère oral du patrimoine religieux et des premiers chefs-d’œuvre qui constituent le socle  de l’héritage poétique arabe.  

Nous ne devons pas, si nous voulons être justes à l’égard du patrimoine populaire et à l’endroit de nos jeunes générations, appréhender ce patrimoine à travers les seules œuvres qui en constituent les premiers balbutiements et de le traiter comme un matériau figé dans son lointain passé. Nous ne devons pas non plus nous obstiner à enseigner aux générations actuelles ces œuvres premières comme autant de témoignages pittoresques et anecdotiques ou de réussites formelles servant juste à rehausser telle cérémonie scolaire. Car l’enfant, aujourd’hui, n’est plus cet enfant à qui l’on choisissait son boire et son manger et à qui l’on imposait nos goûts vestimentaires, pas plus qu’il n’est cet apprenant qui adhérait sans protester aux connaissances que nous croyions devoir lui inculquer. Nous avons affaire aujourd’hui à un tout autre enfant, qui a acquis une mentalité différente et appris à puiser à d’autres sources du savoir, plus faciles d’accès, plus ouvertes sur le vaste univers avec ses méfaits et ses bienfaits. 

Il s’est passé près d’un siècle pendant lequel le concept de patrimoine populaire a évolué et s’est élargi pour recouvrir l’ensemble de la culture populaire, laquelle s’est trouvée soumise à la perception et à l’évaluation éthique et esthétique ainsi qu’aux transformations imposées par la loi de l’évolution qui connaît, de temps à autre, des mutations brutales. Or, la culture populaire a, elle aussi, obéi, auparavant et pendant des siècles, à la logique de la sensibilité collective en matière de réception, modification et élimination, de sorte que la culture actuelle d’un peuple va passer aux générations futures qui y apposeront leur sceau avant de la léguer, enrichie et transformée, aux générations suivantes. Une telle vitalité constitue l’une des marques de cette matière folklorique. 

Sur la base d’une telle appréhension de la culture populaire, deux dimensions doivent être prises en compte dans toute analyse. La première c’est la matière folklorique en tant qu’elle est susceptible d’être changée, modifiée, transformée. La seconde c’est l’homme en tant qu’il est le producteur et le véhicule de cette matière autant qu’il en est le premier agent de changement et de transformation. Imaginons les métamorphoses par lesquelles la culture est passée, depuis la révolution du transistor jusqu’à celle des tablettes numériques, en passant par l’internet et les autres instruments de communication électronique qui se sont développés sous le parapluie de la mondialisation; imaginons toutes les formes de terminologie, toutes les désignations mais aussi toutes les coutumes, traditions ou modes de communication que cette culture a eu à intégrer ; imaginons aussi les idées et mutations qui ont traversé cette culture; considérons maintenant la culture populaire non pas seulement en tant que culture venue du passé mais aussi en tant que culture du peuple à cette époque qui est la nôtre – et nous comprendrons qu’il nous incombe d’appréhender cette entité dans son essence nouvelle et de rechercher âprement les moyens propres à adapter à ses valeurs spirituelles, esthétiques et morales les plus fondamentales les différents instruments de notre temps, de manière à ce que la transmission aux jeunes générations se fasse sans contrainte.  

 

Ali Abdallah Khalifa

Bahreïn

Toute Issues