Revue Spécialiséé Trimestrielle

LES DEVINETTES EN TANT QUE MANIFESTATION DE LA CULTURE POPULAIRE

Issue 19
LES DEVINETTES EN TANT QUE MANIFESTATION DE LA CULTURE POPULAIRE

Aziz El Arbaoui (Maroc)

Les devinettes, proverbes, coutumes, traditions, habits, cuisine(s), logements font partie de la culture populaire. Ils sont aussi un trait d’union entre le passé et le présent et représentent pour les individus et les groupes sociaux une marque identitaire vivante.

 

 

 

 

La culture populaire est également présente, sous différentes formes, dans la poésie, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques, la chanson ainsi que dans la vie de tous les jours. Elle trouve à s’inscrire dans les textes et les œuvres autant que dans le mode de vie des gens. 

On peut maîtriser et orienter les éléments constitutifs de la culture populaire de façon à transformer cette culture d’une machine en panne en un moyen d’action capable de faire bouger les choses inertes, voire en un discours fondamental au milieu des discours adoptés par les élites agissantes qui ont la capacité de faire la différence, de franchir le seuil de la culture savante et d’en bousculer les structures immobiles. 

Sur le plan local, une vision minorante continue à prévaloir en ce qui concerne le rapport aux composantes de la culture populaire. Les élites regardent avec une certaine morgue cette culture, et l’université ne lui accorde qu’une place réduite dans ses cursus. Quant aux institutions compétentes en la matière, elles ont une attitude opportuniste à l’égard de cette culture et ne s’en préoccupent qu’à l’occasion de manifestations saisonnières. Du reste, lorsqu’ils y ont recours ce sont toujours ses formes les plus dégradées qu’elles mettent en valeur. Il en résulte une sorte d’hostilité méthodique à l’égard de ce qui fait la spécificité des Marocains, comme si cette spécificité était la face honteuse ou la manifestation la plus puérile de l’identité du groupe et de ses occurrences individuelles. 

La culture populaire constitue ainsi une sorte de déchetterie pour un discours qui se constitue sur la base de priorités bien déterminées. Elle n’est pas un héritage provenant de l’ethnologie occidentale. Elle est le point de fixation de cette tradition islamique qui fait la distinction au sein de la société musulmane entre deux catégories : le commun des hommes, c’est-à-dire les ruraux (bédouins) et les couches inférieures de la population des villes ; et l’élite, c’est-à-dire les savants, les hommes politiques et les populations instruites. 

Il existe un dicton qui dit : « Tout ce qui est répandu n’est pas populaire, mais tout ce qui est populaire est répandu. » Et l’une des particularités du patrimoine est son caractère spécifique et local. C’est ce qui infirme le point de vue formulé dans le précédent paragraphe. Quant aux deux catégories que distingue la tradition islamique, nous dirons que nos ancêtres n’appartenaient pas à une société idéale et n’avaient rien d’exemplaire dans leur comportement. Ils constituaient un peuple comme les autres où régnaient le bien, le mal, la cruauté… Quant à ceux qui considèrent le patrimoine comme une activité sans intérêt ou puérile, on peut résumer leur attitude par cette formule : « le patrimoine est devenu source d’emploi pour les inactifs. » Journaux et médias, jeunes et personnes âgées, clubs, agences et hôtels, Arabes et étrangers, tout un chacun a levé l’étendard du patrimoine, certains à bon escient, et ils ont bien mérité de cet héritage ancestral, le reste non. 

Ressusciter le patrimoine populaire ancestral qui est profondément enraciné dans notre être social c’est œuvrer à collecter ces pratiques qui se sont développées sur la base de nos croyances islamiques, la limite étant, ici, l’attitude moderne à l’égard de ces comportements à caractère populaire, comportements émanant de modèles culturels qui sont ceux du peuple. Une telle entreprise requiert une grande prudence, compte-tenu de l’approche touristique et sociale que l’on peut avoir de la culture populaire et des risques de destruction de l’héritage culturel arabe, écrit aussi bien qu’oral, que l’on court en insistant sur la spontanéité, la simplicité, la bédouinité et en minorant le rôle que joue l’intellectuel révolutionnaire et novateur dans la vie de notre nation, cet intellectuel dont la créativité est niée – ce qui va à l’encontre de la réalité vécue, l’héritage populaire se fondant à la fois sur la simplicité et l’abstraction. 

Les devinettes sont un des domaines de la littérature populaire. Elles sont partie intégrante de la culture du peuple et l’expression de sa culture matérielle, intellectuelle, spirituelle et sociale. La devinette, en tant que jeu de questions et réponses, donne une image particulière de la spécificité de la culture populaire d’une société donnée. Les spécialistes de la littérature populaire abordent les devinettes en tant qu’elles sont une forme d’expression littéraire au sein d’une société donnée, outre qu’elles sont en soi la représentation de certains aspects de la vie sociale et la mise en valeur des aptitudes intellectuelles les plus hautes. 

L’homme a pratiqué les devinettes depuis la nuit des temps ; il a toujours aimé associer des formules contradictoires fondées sur une certaine gymnastique de l’esprit. Devinettes et autres jeux consistant à donner des noms similaires à des choses différentes ou très éloignées les unes des autres ouvrent sur des réponses dont la simplicité déconcerte l’auditeur lancé à la recherche de réponses complexes à des formules sibyllines ou  hermétiques. 

Innombrables sont les devinettes. Leur forme et structure linguistique diffèrent d’un milieu social à l’autre. Elles traitent de sujets qui reflètent la vie intellectuelle au sein de l’espace où elles ont vu le jour. Les devinettes sont considérées, à l’instar des proverbes et dictons, comme l’une des formes les plus anciennes de la littérature populaire. 

Formulées dans le dialectal de la région ou du pays, elles s’adressent à l’élite comme au commun des hommes. La large diffusion qu’elles connaissent autant que leur impact sur le parler courant leur ont conféré une image de sagesse qui suppose l’adhésion du destinataire à son propos. Ne sont-elles pas la quintessence des efforts, individuels aussi bien que collectifs, des hommes pour développer leur intelligence ? 


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