Revue Spécialiséé Trimestrielle

A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON

Issue 15
A QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON

Nous n’avons cessé, des années durant, de souligner l’importance de la culture nationale et la nécessité de lui accorder la place qui lui revient et de l’enraciner dans la conscience de nos jeunes générations. Lorsque nous demandons à nos enfants de nous parler des composantes de la culture nationale bahreïnie, beaucoup d’entre eux sont incapables de répondre, car ils ignorent jusqu’au sens de cette expression. Certains de nos intellectuels ont même du mal à s’accorder sur la définition de ce terme, quand ils ne sont souvent pas capables d’en préciser le contenu.
Au cours des dernières années, le Bahreïn et les autres Etats du Golfe arabe ont essayé d’intégrer à leurs programmes scolaires officiels des enseignements propres à développer chez les apprenants le sentiment patriotique et de les former à donner par des actes concrets une signification à leur appartenance à la nation. Mais nul n’ignore que ces initiatives n’ont bien souvent rencontré qu’indifférence parmi les élèves et les étudiants des universités, lorsqu’ils n’ont pas suscité chez certains d’entre eux des formes de rébellion. Même les hymnes et les chants patriotiques qui accompagnent les grandes célébrations sont restés, dans leur grande majorité, fort éloignés de toute idée de loyauté à la patrie et d’appartenance sincère à la terre et à la culture du pays, cette culture qui constitue l’un des affluents de la culture arabe, même si on y décèle certains caractères spécifiques. On a même l’impression que les chants diffusés par les diverses chaînes et stations n’ont d’autre fonction que de couvrir tant bien que mal l’événement en attendant de passer à autre chose.
Nous ne disposons à cet égard d’aucun chant patriotique au sens strict du terme dont nous pourrions dire qu’il s’est gravé dans nos mémoires, aucun que nous pourrions fredonner, que nos enfants se plairaient à reprendre ou qui se serait inscrit au plus profond de notre être. Cela pourrait s’expliquer par le sentiment que nous étions à l’abri de tout événement susceptible d’ébranler notre existence et de menacer notre avenir. Oui, nous étions, tous, inconscients, sans souci du lendemain, et la vie s’écoulait, douce et paisible, pour ne pas dire dans l’indifférence à toute chose sérieuse. Même le drapeau national, qui est le symbole historique et politique du pays, n’était guère perçu que comme une bande de tissu bicolore que nous regardions flotter au-dessus des mâts et des bâtiments, à l’occasion des fêtes et des cérémonies officielles.  La Fête nationale elle-même n’était rien de plus qu’un jour de congé supplémentaire.
Il est des peuples qui ont besoin en fait d’un choc puissant pour les réveiller de leur léthargie, pour leur faire comprendre que la vie recèle bien des périls, que toute forêt cache des monstres friands de chair humaine et que nombreux sont ceux qui guettent la moindre faille pour anéantir la sérénité des peuples pacifiques, parce qu’ils veulent être les seuls à jouir de la paix, de la quiétude et de la sérénité.
Les événements qui ont affecté le Bahreïn, au cours de la dernière période et les convoitises de l’étranger qui ont mis en danger la sécurité du pays ont suffi pour rallumer la flamme nationaliste et réveiller la ferveur patriotique autant que la conscience des valeurs, des symboles et des fondements culturels du pays. Ce fut comme si les gens sortaient d’un sombre tunnel vers la pleine lumière du jour, découvrant des réalités nouvelles et un profond attachement à tout ce qui touche à la vie du pays et, dès lors, soucieux de s’affirmer personnellement concernés par chaque détail de l’existence de la nation et responsables face à chaque événement susceptible d’en affecter la sérénité. La patrie est devenue le centre des conversations familiales, des discussions sur les lieux de travail, des débats parmi les cercles d’amis. Les enfants eux-mêmes ont commencé à poser en toute innocence des questions sur la patrie, questions qui étaient absentes sinon volontairement gommées de leur esprit. On les voit maintenant brandir des drapeaux et les porter sur eux comme autant d’ornements. On voit les jeunes sillonner les avenues avec leurs voitures décorées de symboles nationaux, en clamant des mots d’ordre patriotiques. Certains d’entre eux se sont engagés dans de vastes lectures d’ouvrages politiques ou économiques pour comprendre la signification des événements. Tout s’est passé, comme si, au-delà de toute considération d’âge, chacun voulait témoigner de sa profonde appartenance à la patrie. Les heures que nos jeunes perdaient dans des activités sans intérêt véritable sont désormais consacrées à mettre les outils électroniques les plus sophistiqués au service de la nation.
Mais… avions-nous réellement besoin d’un tel séisme et d’un tel réveil tardif pour comprendre à quel point la patrie est précieuse ? Disons simplement ces mots : à quelque chose malheur est bon.
                        

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