Revue Spécialiséé Trimestrielle

METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE POUR L’ETUDE DE L’ARTISANAT ET DES METIERS MANUELS POPULAIRES

Issue 14
METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE POUR L’ETUDE DE L’ARTISANAT ET DES METIERS MANUELS POPULAIRES

Nimr Serhane (Palestine)

L ’étude de l’artisanat et des autres métiers manuels populaires pourrait s’étendre à de larges secteurs de la société arabe. Elle devrait s’intéresser aussi bien au travailleur manuel qui fabrique des objets pour gagner sa vie et nourrir sa famille qu’à l’esthète dont l’ouvrage a des finalités artistiques. Les activités dans ce domaine concernent en effet le créateur sans ressources autant que les intervenants dans les différents secteurs de l’économie, du tourisme ou des arts et techniques, chacun selon ses visées particulières et, s’il est investisseur, ses projets et perspectives.

 

Les métiers de l’artisanat sont le produit d’un savoir-faire exercé à petite échelle ou à grande échelle. Certains artisans fabriquent des objets vendus à bas prix, d’autres une marchandise ayant un coût très élevé : des bateaux, par exemple, des colliers de perles, des tapis, des tapisseries, etc. Certains produits proviennent de l’artisanat local, d’autres de l’étranger où des producteurs travaillant pour l’exportation fabriquent des marchandises qui sont conformes au goût du lointain consommateur auquel ils sont destinés, comme c’est le cas, par exemple, des fabricants chinois ou japonais qui adaptent des produits tels que les lanternes ou les fils à broder au marché moyen-oriental. Il arrive souvent que l’artisanat local se trouve concurrencé par les objets importés d’autres pays, ce qui explique le recours de plus en plus fréquent aux machines pour accélérer et augmenter la productivité en même temps que les gains, en ayant souvent pour point de mire l’exportation.



Ces productions artisanales ont un rapport avec l’art et l’esthétique mais aussi avec la magie et la médecine, y compris la médecine populaire, et constituent, dès lors, un domaine difficile à délimiter et à étudier selon une méthodologie rigoureuse. Le rapport des productions artisanales aux données géographiques est également important car l’artisanat se fonde en premier lieu sur les matières premières disponibles localement. Les producteurs de blé fabriqueront des ustensiles en paille, ceux qui vivent dans les palmeraies tresseront des objets à base de palmes et de feuilles de palmier et les gens de la côte seront pêcheurs, chercheurs de perles et/ou fabricants de bateaux. La Palestine, berceau des religions révélées, s’est spécialisée dans les produits destinés aux pèlerins qui affluaient vers la Terre sainte. A la Mecque le hadj se procurera, par contre, des produits manufacturés importés de l’étranger, mais qui restent par la forme et l’inspiration dans la sphère du goût, de la sensibilité ainsi que des croyances religieuses des peuples du Moyen-Orient.



C’est ici qu’intervient le tourisme qui a joué un rôle important dans le développement de l’artisanat, lequel s’est du reste adapté aux évolutions de la demande, générée par ce type d’économie.
Parler d’une méthodologie des études des productions artisanales populaires, à partir de ces données, c’est parler d’une approche qui sera :
premièrement : descriptive et historique ;
deuxièmement : fonctionnelle.

Il est clair que le travail artisanal a un rôle dans la vie matérielle des gens. Il constitue le gagne-pain de catégories précises de personnes et fournit des emplois à des individus et à des groupes entiers qui vivent de cette activité populaire. En même temps, et d’un point de vue plus général, c’est l’ensemble du corps social qui en bénéficie, dans la mesure où l’artisanat participe au développement du tourisme.



L’artisanat est un des piliers de la stabilité et de l’équilibre économiques, en raison de sa contribution au produit national brut du pays. La question du rapport entre l’art populaire et la rentabilité économique doit donc également être posée, car c’est la performance artistique ou artisanale qui va susciter l’engouement et accroître la demande en créant de nouveaux besoins. Officiel ou populaire, l’art devient objet de convoitise et se transforme de ce fait en une marchandise qui ne cesse d’élargir son aire de diffusion en touchant aussi bien la clientèle locale que le touriste étranger, lequel succombe à l’attrait de ces productions inspirées du génie populaire du pays visité. Nous avons une belle illustration de l’importance économique de ces activités non industrielles avec le cas des populations du Golfe arabe : celles-ci produisaient jusqu’à une époque récente la moitié des perles vendues dans le monde et en retiraient des gains considérables, qu’il s’agît de producteurs individuels ou collectifs.

Les choses ont, en fait, évolué de telle sorte que l’artisanat populaire arabe n’est plus la simple expression d’une forme de créativité populaire, il est devenu la base d’une économie fondée sur des institutions qui ont leurs marchés, non seulement à l’échelon local mais à l’échelle du monde. Aussi, l’approche scientifique devra-t-elle partir de la fonction artistique du travail artisanal pour montrer comment ce travail a évolué jusqu’à devenir un des axes de l’économie et un véritable gisement pour l’emploi.



En arabe, le mot hîrfa (métier) renvoyait, au départ, au sémantisme de l’argent : on dit de quelqu’un qu’il a pris un métier (ihtarafa) pour souligner qu’il a désormais une occupation qui lui permet de se nourrir et de nourrir les siens. La hîrfa est le travail rémunéré. Le proverbe, qui se rencontre dans les milieux populaires, dit « Qui possède une hîrfa possède une qalâa (forteresse) », ce qui signifie que celui qui maîtrise une technique artisanale et en vit équivaut au commandant d’une forteresse.

On peut affirmer, en conclusion, que la vie moderne, malgré les grandes avancées accomplies sur les plans industriel et technologique, ne saurait se passer des métiers populaires dans lesquels l’homme arabe verra toujours la base de ses attaches avec les arts populaires traditionnels.


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