Revue Spécialiséé Trimestrielle

DE L’ECLATEMENT CULTUREL ET DE SES FINS DERNIERES

Issue 14
DE L’ECLATEMENT CULTUREL ET DE SES FINS DERNIERES

La culture a été, à travers les âges, le lien solide qui tient ensemble les composantes de la société, par-delà la multiplicité des appartenances. C’est elle qui rapproche, là où surgissent les différences, faisant de la diversité même un lieu de convergence et un véritable ciment. Et c’est elle qui instaure l’entente et l’harmonie, là où se heurtent les intérêts et s’affrontent les opinions. Elle est le creuset où se fondent les pluralités en une entité unique, toujours assez vaste pour accueillir toutes les disparités et de cette mosaïque faire un tout. Elle est le présent, en son unicité, parce que le passé pour tous est un et que le avenir de tous ne peut être qu’un.

L’attachement d’une société, quelle qu’elle soit, à tout qui réunit et son rejet de tout ce qui divise ne relèvent pas seulement d’une profonde conscience des enjeux et des défis de l’avenir, elle relève aussi et avant tout de la fidélité à l’essence de la culture qui fait que chacun de nous se reconnaît en chaque membre de sa communauté en qui il voit le miroir même de son âme.

Combien nombreux sont les témoignages de l’Histoire qui nous montrent que seules les grandes nations ont eu la force de surmonter leurs divisions pour maintenir les fondements de leur unité, afin de demeurer, au long des siècles, un tout indestructible !

La langue était à nos yeux, nous Arabes, un facteur d’unité qui fait de la culture la plateforme où se rencontrent nos élans spirituels et existentiels et se rassemblent les multiples facettes de notre pensée et les diverses racines de notre être au monde. Nous rêvions d’une unité arabe qui donne à cette culture son expression palpable. Mais, exploité jusqu’à l’usure, des années durant, ce rêve est devenu pour nos jeunes générations un slogan creux. Or, les événements et les développements confus qui affectent aujourd’hui le monde arabe et que relaient, ici et là, les rumeurs persistantes d’un nouveau complot colonialiste ne visent en fait qu’à redistribuer les cartes et les zones de domination, à travers l’émiettement en autant de micro Etats fondés sur la race et l’appartenance confessionnelle des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Mené sous le couvert de la démocratie et du soutien à des minorités privées de leurs droits, un tel complot n’a d’autre finalité que l’instauration d’un nouveau Moyen-Orient. Et c’est dans son essence même que la culture est visée, ici. C’est elle qui est, en premier lieu, exposée à l’éclatement et à l’émiettement sur la base de la race ou de l’appartenance confessionnelle. Car, dès l’instant où elles émergent, les entités provinciales et les micro-Etats ne peuvent avoir d’autre souci que d’affirmer, chacun de son côté, son identité et son indépendance, en s’emparant chacun de tout ce qui est à lui et de tout ce qui est aux autres pour en faire sa propriété exclusive. On ne s’étonnera pas, dès lors, de voir naître des querelles au sujet de la « propriété » de tel patrimoine littéraire ou artistique, voire de tel métier ou tradition. Les clivages pourraient même atteindre une si grande acuité que l’on verrait d’aucuns remonter aux origines ethniques ou raciales de nos premiers penseurs ou écrivains, afin de se partager les dépouilles de notre Histoire, de notre patrimoine, des fondements de notre civilisation. Et cette catastrophe débouchera fatalement sur des guerres qui nous opposeront sans fin  les uns aux autres.

Le monde arabe et musulman nous en présente déjà des exemples vivants. Les événements que le Royaume du Bahreïn a connus, au cours de la dernière période, et dont les effets sont encore visibles ne sont à cet égard qu’une illustration de ce plan colonialiste dont la mise en œuvre a déjà commencé et qui s’étend désormais, de pays en pays, à travers la région arabe.

La conscience des dangers liés à ce plan tout autant que de ses finalités et des catastrophes qu’il risque d’entraîner doit constituer le premier pas vers un sursaut sur la plus large échelle des peuples visés. Or, nous savons que nous ne pouvons faire face à une telle menace que par la coexistence fortement affirmée de toutes les races et confessions, au sein de la nation, la volonté de répondre aux justes revendications sociales des peuples, la réalisation des plus grands espaces de liberté publique et l’ouverture sur les plus vastes horizons du dialogue et de la démocratie, sur la base de la participation réelle de tous au pouvoir et à la prise de décision. Sans ces réformes, les peuples, toutes races et confessions confondues, ne pourront que voir s’approfondir leurs divisions et s’aggraver les fléaux qui les menacent.

Notre profond attachement aux principes d’ouverture à l’autre ne doit pas cependant nous cacher l’essentielle vertu des valeurs éthiques, culturelles et civilisationnelles que nous avons tous reçues en partage. Car, seules ces valeurs sont garantes de notre unité, seules elles nous prémunissent contre les facteurs de division. Que la culture, à travers ses multiples manifestations, soit donc notre rempart contre les coups du sort ; qu’elle nous soit le radeau qui nous conduira, unis et solidaires, vers un avenir radieux où chacun trouvera l’apaisement et la quiétude.

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