Revue Spécialiséé Trimestrielle

ARCHIVAGE ET TRANSMISSION ORALE : LES CONSTANTES ET LES VARIABLES

Issue 13
ARCHIVAGE ET TRANSMISSION ORALE : LES CONSTANTES ET LES VARIABLES

Nour el Houda Badis (Tunisie)

Des chercheurs ont essayé de déterminer certaines constantes permettant de définir avec précision ce qui relève de la littérature populaire, comme le fait que l’auteur n’est pas connu ou que l’œuvre provient d’une communication orale supposant la présence effective d’un public. Nombreux sont les chercheurs qui se sont fondés sur les définitions données par les dictionnaires allemands où l’on relève que « le conte populaire est le khabar (nouvelle/ récit inédit) lié à une narration ancienne transmise oralement, d’une génération à l’autre, sur la base d’une libre recréation de ce que l’imagination populaire a tissé autour de circonstances ou personnages exceptionnels et d’événements historiques. » D’autres spécialistes sont partis des définitions figurant dans les dictionnaires anglais, comme celle qui affirme que « le conte populaire est un récit auquel la peuple adhère, en le considérant comme véridique, et qui évolue à travers les âges ; il est transmis oralement et a pour objet les seuls événements historiques ou les héros qui ont fait l’histoire. » Sur la base de ces définitions, le conte populaire a un lien avec la société et les développements importants qui y surviennent ; il est nourri des croyances, de la culture et des coutumes des peuples autant qu’il est un miroir de leurs soucis. Il plonge ses racines dans les temps les plus lointains. Nul ne peut imaginer un peuple sans mémoire ni contes populaires, quand bien même la place de ces contes varierait avec les époques et les pays et avec l’évolution des soucis et préoccupations des hommes. Plusieurs chercheurs arabes ont proposé diverses définitions du conte populaire et tenté sur bien des points d’établir des distinctions entre ce type de récits et d’autres formes narratives relevant de domaines pouvant croiser ceux du conte populaire ou de contextes similaires, comme c’est le cas pour les mythes ou les contes merveilleux. Ils ont pu constater que, bien souvent, ces récits sont remplis d’événements extraordinaires, que le merveilleux, l’étrange, le fantastique prévalent sur le réalisme, alors que ce type d’inspiration est fortement atténué dans le conte populaire qui est plus proche de la chronique fondée sur des faits réels. Quant aux mythes et légendes, ils nous ramènent aux religions primitives qui tentent à travers ces récits d’expliquer l’univers, en évoquant en général les dieux, leur descendance, leurs faits et gestes, en imprégnant ces narrations d’une forme de sacralité qui leur donne une portée universelle et en fait un vaste champ d’étude, celui de la mythologie, en rapport avec la relation entre l’homme et la nature, l’homme et le surnaturel.

Il apparaît donc que le conte populaire vise à faire œuvre d’art en partant d’événements historiques réels. D’autre part, ce type de récit repose sur un ensemble de constituants qui lui confèrent une place à part, dans le domaine de la narration. Outre le fait que l’auteur est inconnu, le conteur joue un rôle important, dans la mesure où il a toute latitude pour ajouter ou retrancher tel ou tel élément du récit, au gré du travail de la mémoire mais aussi de l’intérêt qu’il suscite chez l’auditoire. En plus, ces contes sont autant de miroirs de l’époque où se révèlent les idées et les coutumes d’une nation et peuvent, par conséquent, subir certaines modifications en rapport avec les évolutions de la société, de manière à rester toujours vivants et à résister à la menace du vieillissement, de l’oubli, de la pétrification ou de la mort.

L’archivage vise à cet égard, fondamentalement, à sauver ce patrimoine de la disparition, notamment lorsqu’il s’agit de contes délaissés ou menacés par l’oubli et la disparition.

L’une des conditions du bon archivage est de ne rien changer au récit transmis, conformément au principe de « copyright » du conte tel que définit par le grand folkloriste Anderson qui précise que « la rigueur des lois formelles du conte et le cadre étroit dans lequel ils s’inscrivent sont le secret de sa pérennité et de son impact. »
La plupart des contes populaires qui ont été soumis au travail d’archivage ont subi des changements que l’on peut clairement percevoir dès les premiers éléments qui en constituent les « seuils » : titres modifiés, incipit transformés, etc.

L’autre problème de l’archivage concerne le contexte. La lecture heuristique d’un seul conte et le fait que celui-ci se trouve arraché à son contexte oral qui remonte aux temps lointains de sa conception ne peuvent nous aider à reconstituer les réalités socioculturelles qui ont présidé à sa naissance.
Déplacer un conte d’un contexte vers un autre, d’une sphère à une autre est de nature à l’« endommager », dès l’instant où l’opération commence à avoir un impact sur ses noyaux textuels inséparables des lois organisant sa structure orale.

En l’absence d’une base valable en matière de transmission ou de reproduction du récit ou, si l’on veut, d’une base permettant d’accéder aux contextes socioculturels et autres, le texte oral passe par deux niveaux de violation : le premier est celui du premier travail d’archivage et le second celui de la réception critique écrite, laquelle est inséparable d’un second processus d’archivage et de l’ouverture de nouveaux horizons au conte.


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