La Mémoire Culinaire Dans Les Principes Et Les Coutumes Alimentaires
Issue 11
si l’on convient avec Abdallah Laroui que tout groupe humain a des caractèristiques par lesquelles il se distingue des autres. Même si l’étude a pour point de départ des spécificités régionales ou locales, ces spécificités sont porteuses d’une charge culturelle qui est de nature à enrichir notre civilisation et nos expériences humaines.
L’expérience culinaire qui est celle de l’homme ourayni actuel, en particulier, et de tout homme des temps présents, en général, n’est pas seulement celle que nous observons aujpourd’hui, mais aussi la résultante d’un long processus humain qui s’est déroulé au long des âges, à travers l’espace et le temps.
Qu’il s’agisse de l’histoire (le passé) ou de l’ici et maintenant (le présent), l’étude montre que l’homme accumule et n’a cessé d’accumuler des expériences alimentaires en bénéficiant des moyens et des conditions du temps présent mais sans jamais se couper des expériences du passé, ni s’y dérober, expériences où la mémoire a conservé le souvenir des famines et des épidémies tout autant que de l’abondance et de la prospérité.
Le passé reste, ici, un repère ou une dimension essentielle dans l’existence du groupe, comme l’affirme le sociologue français Jean Duvignaud. On ne saurait l’occulter ou le négliger.
Comment comprendre, en effet, les comportements alimentaires d’aujourd’hui, les choix et les techniques (aux plans de la présentation et de la consommation) si l’on ne se remémore ou, du moins, si l’on ne reconstitue scientifiquement cette mémoire de la nourriture, en partant de ce qui y est resté – je dis bien « ce qu’y est resté » car la mémoire elle-même est exposée à la destruction et à la mort, à chaque fois que nous perdons un vieil homme ou une vieille femme.
Les personnes interrogées, dans le cadre de cette enquête, peuvent parler de ces réalités avec regret et douleur comme elles peuvent en parler avec fierté et assurance, mais, dans les deux cas, le corps est marqué et comme tatoué comme la mémoire est tatouée. Notons, ici, que l’homme n’a jamais démissionné devant les fléaux de la pauvreté, de la sécheresse ou de la guerre, pas plus qu’il ne s’est laissé prendre aux mirages de l’abondance et de la prospérité. L’homme (ourayni) s’est habitué à la prudence et à la prévoyance.
Ne dit-il pas que souvent les temps varient, que tout est contingent, que toute durée est faite de changements et ne cesse de nous surprendre ? La sagesse marocaine ne compare-t-elle pas le temps qui passe à un triangle formé du makhzen (le pouvoir central), du oued et du feu ?
Abdallah Harhar (Maroc)