Revue Spécialiséé Trimestrielle

Pratiques Et Représentations De La Maladie Dans La Societé Tunisienne Selon La Médecine Traditonelle Et La Médecine Moderne

Issue 11
Pratiques Et Représentations De La Maladie Dans La Societé Tunisienne Selon La Médecine Traditonelle Et La Médecine Moderne

Ces savoirs nous renvoient à des périodes et à des contextes historiques différents. La médecine moderne est née de l’interaction des sociétés maghrébines avec une situation nouvelle, caractérisée par l’arrivée de la médecine moderne qui a d’abord servi à la lutte contre les épidémies et les maladies contagieuses.

Celles-ci constituaient, en effet, une grave menace pour l’Occident qui s’était employé, pendant le dix-neuvième siècle et le début du vingtième, à asseoir sa domination sur les pays du Maghreb. La propagation de la peste noire et d’autres fléaux constituaient à cet égard un péril réel, ainsi que le montrent les rapports des consulats étrangers et les constats effectués par les premiers médecins français et britanniques envoyés en mission dans la région.

Ces constats sont autant de témoignages vivants de l’état de léthargie et de soumission à la fatalité qui caractérisait alors les sociétés maghrébines. D’autres études menées par des chercheurs locaux soulignent, en revanche, l’ancienneté des activités médicales et le rôle de la médecine traditionnelle dans cette partie du monde.

La civilisation arabo-musulmane recèle de grandes richesses, en ce qui concerne la littérature médicale. Il reste que la problématique de la santé et de la médication est apparue à l’époque où les Etats modernes commençaient à se constituer et où la santé a cessé d’être l’affaire de la société civile, des organisations caritatives ou de l’institution religieuse ou théologique pour devenir un « bien public », financé par l’Etat et géré par des instances politiques et administratives relevant directement de l’Etat.

Une telle évolution ne pouvait que se traduire par le recours exclusif à la médecine moderne. La médecine traditionnelle, qui fait nécessairement partie de la culture populaire, est, elle, restée confinée à toutes les formes de traitements par les herbes, par l’automédication, mais aussi par le recours à l’astrologie et à la chasse aux mauvais esprits, ainsi que par la croyance aux pouvoirs surnaturels de praticiens censés maîtriser l’art de chasser les esprits maléfiques et d’annihiler les effets de la magie.

De telles pratiques relèvent, par définition, de la catégorie des croyances métaphysiques, lesquelles constituent un domaine aux innombrables ramifications, intégrant des savoirs et des expériences, transmis de génération en génération, jusqu’à nos jours, et liés à différents rites, comportements et symboles à travers lesquels les individus expriment leurs croyances et leurs représentations de la vie et de l’univers.

Ces formes d’expression collective se manifestent le plus souvent de façon publique, mais se traduisent parfois par des pratiques plus occultes, comme, par exemple, dans les rites de la magie ou de la sorcellerie. Les croyances surnaturelles se mêlent à des gestes, des mimiques, des senteurs, des déguisements, des jeux de rôle.

Les rites liés à l’adoration des saints, la croyance en leur bénédiction et en leur pouvoir d’intercession autant que la croyance aux vertus des guérisseurs et de la médication au moyen des herbes et/ou de l’explication des rêves s’inscrivent dans le cadre de cette approche traditionnelle de la médecine. Ces pratiques populaires ne sont pas liées à une époque historique précise, elles sont inséparables de l’apparition des sociétés humaines et ont pour fonction d’apporter la quiétude et l’apaisement dans les situations de doute, d’incapacité ou d’angoisse que créent la maladie, la stérilité ou la crainte de la mort.

Elles connaissent une recrudescence, au cours des périodes où les gens du peuple ne trouvent d’autre solution pour lutter contre les maladies ou les épidémies que de recourir à tous ces rites et pratiques. Ils s’y livrent, du reste, loin des concentrations urbaines, dans des zones isolées, zones rurales ou certaines régions montagneuses où il n’est pas aisé d’accéder aux centres médicaux modernes.

On peut également évoquer ces institutions où s’exerçait, dans les temps anciens, la médecine traditionnelle, que l’on appelait maristans et qui, d’ailleurs, servaient bien plus souvent de refuges aux mineurs, aux handicapés, aux orphelins, aux parias, aux pauvres qu’ils ne constituaient des centres pour soigner les malades et leur fournir des médicaments.

Ahmed Khouaja (Tunisie)

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