L’INFLUENCE DU PATRIMOINE POPULAIRE DANS LE THEATRE ARABE
Issue 13
Aymen Hammad (Égypte)
On comprend que ce riche patrimoine ait été, à travers ses différentes manifestations, une source d’inspiration primordiale dans les multiples domaines de la création humaine, et en particulier le théâtre. Une telle inspiration est même apparue comme une exigence artistique et intellectuelle aux auteurs dramatiques qui s’y sont intéressés et qui y on trouvé un moyen pour parler des problèmes, préoccupations et aspirations des peuples, surtout aux époques où la libre expression et l’évocation directe des réalités du moment n’est pas permise.
L’auteur dramatique arabe n’a pas manqué de puiser dans cet héritage comme à une source qui jamais ne tarit. Car, outre les valeurs religieuses, civilisationnelles, historiques, sociales dont elles sont porteuses, les œuvres patrimoniales bénéficient auprès des hommes d’une vénération, voire d’une sacralité telles qu’elles occupent une place privilégiée dans la vie des nations et constituent autant d’emblèmes de leur identité. Pour un artiste, prendre appui sur le patrimoine c’est témoigner d’une prise de conscience de l’importance de ce legs, des valeurs esthétiques, de la puissance de suggestion, de l’énergie intellectuelle qu’il peut lui apporter. C’est le patrimoine en effet qui confère à l’expérience du créateur authenticité et puissance d’innovation, et c’est lui qui le libère des chaînes de l’immédiateté qui, bien souvent, tuent la créativité. Par un tel retour à l’héritage populaire, l’artiste « ne satisfait pas à un sentiment de nostalgie pour les richesses du passé, mais tente de donner forme à ses tourments en les projetant sur les créations ancestrales. Ainsi l’histoire se prolonge dans le présent par le moyen de l’art. L’artiste dépasse la perception figée du patrimoine en lui empruntant son matériau et en lui ajoutant de nouvelles dimensions, à travers sa vision d’homme moderne. Le dramaturge qui fait preuve, à travers ses créations, d’une appréhension critique du patrimoine est celui-là qui met à jour avec force les significations latentes que recèle cet héritage. Aussi la force de suggestion de ce type de théâtre doit-elle refléter la force d’inspiration et d’expression qui sont au cœur de l’héritage populaire. »
Sur cette base, le patrimoine culturel est un moyen et non pas une fin en soi. Loin d’être le sujet de son œuvre, il est un outil entre les mains de l’artiste qui l’utilise à volonté dans son travail créateur. C’est une fonction, non une essence. Sa principale caractéristique est la ductilité et le changement, ce dont il découle qu’il n’existe pas de patrimoine, indépendamment de toute fonctionnalité, la seule condition étant qu’une telle fonctionnalité soit au service de la modernité et de l’innovation. Car, faire revivre le patrimoine à travers une vision nouvelle c’est « répondre à une exigence de réalisme autant que donner une juste perception de la réalité… Patrimoine et innovation traduisent une position des plus naturelles car présent et avenir coexistent à l’intérieur du sentiment. Le sentiment n’est-il pas une description de cette richesse intérieure où héritage et expérience actuelle n’ont cessé de s’accumuler, en leur interaction jamais interrompue ? N’est-il pas projection du passé et vision du présent ? Soumettre le patrimoine à l’examen c’est, dans le même mouvement, soumettre à l’examen notre mentalité moderne et en faire ressortir les lacunes et les entraves. Et soumettre à l’examen notre mentalité moderne c’est, dans le même temps, y soumettre le patrimoine, dans la mesure où celui-ci est l’une des composantes essentielles de cette modernité. C’est bien cela qui nous facilitera la lecture du présent dans le passé et celle du passé dans le présent. »