LES BERCEUSES OUBLIÉES DE LA VILLE TUNISIENNE DE MONASTIR Étude musicologique et documentaire

Mohamed Dridi . Tunisie

 

Les chansons du patrimoine occupent une place importante parmi les multiples formes chantées que connaissent les peuples, quels qu’en soient la profondeur historique ou le développement au cours des époques. Cela ne s’explique pas seulement par la seule proximité de ces arts avec la sensibilité des gens, mais par le fait qu’ils constituent en eux-mêmes autant de miroirs des évolutions sociales et psychologiques qui ont marqué le passé des peuples. Le patrimoine chanté est en effet l’une des images de la façon dont les hommes racontent des moments de leur histoire, ainsi que de la vie, de l’état et des sentiments qui sont les leurs. Que tant de chansons soient restées jusqu’à ce jour vivaces dans la mémoire collective relève en dernière instance de la simplicité et de la beauté de leurs mélodies autant que de cette vie frémissante dont elles sont porteuses et qui a amené des générations successives à s’y passionner et à se les transmettre l’une à l’autre de sorte qu’elles ont continué à ce jour à nous faire vibrer. 

L’étude du patrimoine musical tunisien montre que les berceuses (appelées dans le dialecte national chansons de tarbîj – substantif d’un verbe, trabbej, qui signifie " dorloter ") font partie de la partie oubliée du patrimoine ou, si l’on excepte quelques enquêtes menées par des musico-anthropologues, ignorée par les études académiques ou anthropologiques, en dépit de l’importance qu’elles revêtent dans la société tunisienne. Liées à une étape des plus sensibles de l’âge de l’homme, les berceuses jouent en effet un rôle décisif dans la construction de la personnalité de l’enfant, à une étape de sa vie que l’on peut considérer comme celle où se restructurent ses forces psychiques et mentales pour le préparer à affronter progressivement les exigences de l’âge mûr. C’est au cours de cette période que se manifestent divers signes annonciateurs de la progressive évolution de la personne vers une maturité intellectuelle généralement accompagnée d’un réel développement des aspects artistiques de sa personnalité. Nul ne peut à cet égard douter de la valeur et de l’impact des arts dans la vie des hommes. " La musique est considérée comme un moyen de détente et de relaxation, elle contribue à la diffusion à l’intérieur des êtres de vagues et de courants qui créent une vraie dynamique existentielle. Elle a également une fonction éducative importante, en tant que moyen d’élévation de la sensibilité et d’affinement des sens à travers la perception de l’harmonie artistique que déploient les œuvres musicales. "

Tels sont les points sur lesquels s’arrête la présente étude musicologique sur les berceuses, " ces chansons étant un art qui influe sur l’homme et remue en lui les affects et les émotions qui sont en état d’inertie et suscitent la jouissance et l’apaisement. " Les connaisseurs savent à quel point elles sont liées à l’homme, en général, et à l’enfant, en particulier, et mesurent l’étendue de son influence sur son comportement. C’est pourquoi il convient d’ouvrir à l’enfant les chemins de la vie et de lui tracer les voies de l’avenir afin de faire de lui un être digne et confiant en ses moyens. Ce qui ne peut se réaliser sur la seule base de ses capacités physiques, mais en accordant une importance capitale à la dimension spirituelle de sa personnalité et en s’adressant à son goût, à sa sensibilité et à sa réactivité. "

Les berceuses étant l’une des formes artistiques qui nourrissent le goût de l’enfant, affinent ses dons et illuminent son existence, il est clair que le rapport de l’enfant à ces chansons joue un rôle décisif dans sa formation. Les jeunes êtres inclinent naturellement vers les plus belles mélodies, ils n’aiment rien tant que d’entendre le murmure de voix dont les sonorités excluent la rudesse et la grossièreté. C’est en éduquant la sensibilité de l’enfant et en élevant son âme dans le respect des hautes valeurs que nous pouvons lui préparer un avenir radieux, chose qui ne saurait se faire sans que soient définis à l’avance des objectifs précis en rapport avec sa personnalité.