SUR LE PATRIMOINE CULTUREL AU MACHREK Permanence et changements dans les traditions de mariage
Issue 62
Atef Attia
Professeur de sociologie à l’Institut
supérieur de Doctorat
Université libanaise
Il convient d’abord de souligner que les traditions du mariage ont toujours occupé une place centrale dans toutes les civilisations, à quelque époque que ce fût, et que nulle recherche sur les croyances ou les us et coutumes des hommes ne saurait ignorer cette donnée. Une telle tradition avec les rites et croyances dont elle s’accompagne est en effet inséparable de l’existence même de l’homme. La pérennité de la vie humaine est liée au mariage, il n’est d’être humain que par l’existence d’un couple formé d’un mâle et d’une femelle. Cela est aussi vrai pour les autres espèces animales, aussi divers que soient les modes de conception.
Le mariage consiste en un lien légal entre un homme et une femme, agréé et reconnu par la société, avec le consentement des deux époux ou à travers un arrangement conclu par autrui. La finalité en est l’établissement d’une famille ou l’augmentation numérique de la famille à laquelle appartient l’époux, que ce soit par l’introduction dans la maison d’une femme étrangère à cette famille, ou par l’acte de procréation qui augmente la force et le pouvoir de cette famille, tant au plan social qu’économique. Toutes ces données sont restées en vigueur jusqu’à l’époque où la conception du mariage a changé et où l’on a vu se constituer la famille nucléaire qui a hérité de la famille patriarchale avec son organisation stricte et son système autoritaire qui s’étend à la femme et aux enfants, ceux qui sont célibataires aussi bien que ceux qui sont mariés et vivent avec leurs femmes et leurs enfants, et qui comprend également les frères du père, y compris ceux qui ont leur propre épouse ainsi que les sœurs célibataires du père.
Le terme ‘’mariage’’ n’est apparu dans le patrimoine du Machrek (l’Orient), et plus généralement arabe, que pour désigner le statut qui découle d’un contrat de mariage. Le lexicologue Ibn Mandhour écrit : « Marier une chose à une autre signifie les lier. » De là vient l’expression islamique de aqd al qiran (littéralement : contracter le lien / lier par contrat). Dans ce sens, deux choses qui se trouvent liées l’une à l’autre forment un couple (littéralement deux époux).
Il importe à cet égard de souligner que la formation de la famille, son mode de production et ses relations internes autant que ses rapports avec le monde extérieur sont tributaires de la réalité sociale dont cette famille est le produit. De là vient l’appellation de ‘’famille étendue ‘’ qui comprend des frères, des fils mariés et célibataires, des sœurs et des filles célibataires, des petits-fils et des petites-filles, tous placés sous l’autorité du patriarche – ou du fils aîné si le patriarche est décédé –, lequel assume la responsabilité de diriger les affaires de la famille.
Il est bien évident que les mécanismes qui sont à l’œuvre dans l’événement conjugal varient selon les circonstances et la conjoncture, mais il importe de souligner que la présente étude porte sur tous les éléments qui constituent les fondements des traditions les plus fortement établies, et notamment celles du mariage. Le but est ici de montrer ces traditions telles qu’elles sont et de contribuer à les préserver, en tant qu’elles constituent des facteurs importants au regard de la culture populaire arabe avant qu’elle ne se soit trouvée exposée aux vents du changement. Celui-ci provient à la base d’une modernité qui a inversé les traditions du mariage, lesquelles étaient fondées sur un socle tissé par la réalité de la vie quotidienne. L’acculturation est en effet passée par là et nous a déporté vers d’autres espaces qui nous ont séparé de ce que nous avons hérité de nos aïeux. Seul est resté ce qui pouvait résister au changement, même si des coutumes et des comportements autres s’y sont rattachés qui n’ont aucun rapport avec nous, sinon l’influence de l’autre et le désir de l’imiter. C’est ainsi que nous nous sommes trouvés confrontés à un mimétisme fondé sur l’adoption de traditions étrangères fort éloignées de notre héritage ancestral et n’entretenant aucun lien véritable avec lui, dans un état de quasi-schizophrénie.