LES CROYANCES POPULAIRES ENTRE CONTE ET RÉCIT CRÉDIBLE Rôle et fonction des djinns dans les œuvres théâtrales de la région du Golfe
Issue 62
Zahrae Al Mansour
Royaume de Bahreïn
Il se pourrait que cette étude de dimension réduite et fondée sur des exemples en nombre limité, avec de nombreux points communs, n’aboutisse pas aux résultats que l’on attend habituellement de ce type de recherche. Mais il existe des similarités qui interpellent le lecteur attentif, notamment lorsque les textes contiennent une part importante d’imagination susceptible de le faire entrer dans un univers autre que l’on ne croyait pas exister pas plus qu’on n’aurait cru à l’existence d’êtres qui y seraient liés. Ces textes se présentent sous la forme de récits rapportant des faits réels ou des expériences par lesquelles certaines personnes seraient passées pour une raison ou l’autre. Le lecteur est ici appelé se demander si ces textes rapportent des faits réels rappelant des expériences vécues ou si c’est l’écrivain qui a tout imaginé sous l’influence de l’héritage culturel qui est le sien.
Il est clair que la présence de façon insistante des djinns dans les quatre textes choisis – al yathoum ; al qarinya ; mechkhas et Une ombre et sept âmes –, ainsi que dans d’autres textes qui ne pouvaient entrer dans les limites de la présente étude, montre que les croyances produites par la culture populaire continuent à être répandues et même appréciées dans l’écriture théâtrale, car elles reflètent une partie de ce besoin de ferveur chez les membres de la société. C’est là un phénomène courant et toujours d’actualité, la croyance aux djinns ne changeant pas à travers le temps, si bien que les mêmes certitudes qui avaient cours des dizaines d’années auparavant et que les gens se transmettaient d’une génération à l’autre demeurent vivaces et qu’il ne s’y ajoute que des éléments survenus plus tard.
L’oscillation entre crédulité et incrédulité a pour seul fondement la culture de l’écrivain. Nulle certitude n’existe – sauf lorsqu’il s’agit des références coraniques aux djinns – quant à la réalité de faits que tout être humain quel qu’il soit pourrait attester. C’est pourquoi l’écrivain a toute liberté de faire évoluer ses personnages comme il l’entend et de changer leur destin, conformément à l’idée qu’il se fait du rapport concret entre les êtres et les djinns, et sans que nul ne vienne contester ses écrits ou prétendre à l’existence d’une autre réalité que les autres ne connaîtraient pas. Dans les textes, les événements sont pure fiction fondée sur un peu de réalité à l’intérieur d’un contexte donné. Les auteurs de ces textes attribuent tous les faits incompréhensibles aux djinns pour expliquer ce que la logique ne peut accepter et ce qui relève du pur fonctionnement de l’imagination.
D’un autre côté, l’apparition des djinns dans tous ces textes en tant que personnages ayant une existence matérielle mais sortant de l’ordinaire et triomphant en toute circonstance a toujours une signification morale, y compris lorsque l’auteur est contraint d’opter pour une fin ouverte du récit, c’est-à-dire une fin où les djinns auraient clairement disparu de la surface de la terre ou perdu toute force ou capacité de reparaître et de causer du mal alors qu’il n’existerait nulle formule décisive, qu’elle soit d’ordre médical ou spirituel, pour soigner les personnes victimes de leurs agissements. Il est entendu à cet égard que les solutions humaines face aux actes surnaturels demeurent limitées et semblables dans la mesure où elles aboutissent toujours aux mêmes résultats.
Il apparaît à travers ces textes, qu’il s’agisse des exemples étudiés dans ce travail ou d’autres exemples, qu’aucun écrivain n’est enclin ni résolument décidé à expliquer de façon précise la présence des djinns ou à la justifier par l’une des sciences qui permettent de comprendre, par exemple, les cas d’épilepsie, de démence ou de possession, ou par des arguments qu’il peut puiser dans la culture de la société à laquelle il appartient. Le plus souvent on se réfugie dans ‘’l’obéissance’’, c’est-à-dire que l’on se range à l’avis de certains hommes de religion qui ont l’expérience et le savoir pour chasser les djinns ainsi qu’on le voit dans un grand nombre de texte dramatiques qui reflètent la réalité. Le patient se trouve dès lors temporairement exposé à des actes douloureux destinés à chasser un mal qui ne va pas tarder à revenir au bout d’un certain temps, car il n’a pas été traité sur la base d’un diagnostic rigoureux.
Reconnaissons, cependant, que la culture populaire – que représentent les croyances, les us et coutumes, les arts dramatiques, la littérature orale et autres domaines figurant dans ce corpus patrimonial étroitement lié à la réalité objective de la société – est toujours susceptible d’offrir aux auteurs et aux artistes un large éventail de sujets d’inspiration pour leurs innombrables créations. Le recours aux djinns dans les œuvres artistiques et littéraires est un dénominateur commun à l’ensemble des cultures du monde, chacune développant ses création selon la vision qui est la sienne. Il reste que chaque culture se doit de mettre en valeur son héritage de manière à donner un caractère distinctif à ses productions intellectuelles et à faire apparaître les spécificités de la société où l’idée a vu le jour avant de se constituer avec le temps, de se ramifier et de devenir partie intégrante de la culture populaire.