LE PROFESSEUR GARGUI ET LA MUSIQUE DU GOLFE ARABE
Issue 59
Au début des années soixante-dix du siècle dernier, notre ami le Professeur Dr Mohammed Jaber Al Ansari (que Dieu lui redonne santé et vigueur) qui venait d’être nommé pour une courte période à la tête de la Direction de l’Information de Bahreïn, me chargea d’accueillir un chercheur français qui nous venait du Koweït, et d’apporter toute l’aide nécessaire à cet éminent ethnologue qui se proposait d’étudier les arts populaires bahreïnis du chant. Cet invité n’était autre que le Professeur Simon Gargui (1919-2001) que M. Yacoub Al Mahraqi cite dans son article publié dans ce numéro.
Telles sont les circonstances dans lesquelles je fis la connaissance de cet homme modeste et d’une grande bienveillance qui était aussi un chercheur multidisciplinaire. J’eus alors l’honneur de l’accompagner dans les tournées qu’il effectua sur le terrain pour connaître les différentes facettes de l’art populaire du chant bahreïni. Des liens d’amitié ne tardèrent pas à se nouer entre ce visiteur et moi qui se poursuivirent jusqu’aux dernières années de son existence. C’est en me familiarisant avec ses méthodes de travail sur le terrain – qu’il s’agisse de recueillir, de collationner, de documenter et d’enregistrer la matière chantée, ou d’étudier de près les formes d’exécution ou les instruments de cordes ou percussion utilisés ou encore de comprendre la forme et le sens des textes chantés – que j’ai pu enrichir les connaissances acquises au cours des années soixante auprès de feu le Professeur danois Paul Rofseng Olson. Grâce au Professeur Gargui j’ai pu trouver une réponse aux questions nombreuses et complexes sur les narrateurs et autres types d’informateurs avec lesquels le Professeur, qui était de mère arabe et de père suisse ou français, pouvait communiquer en arabe. C’est, il va de soi, de ce compagnonnage sur le terrain qui devait se répéter à l’occasion de nombreuses autres visites à Bahreïn qu’est née cette longue amitié dont je parlais.
Il me fut ensuite permis, à travers le travail accompli par ce chercheur scrupuleux qui ne voulait rien tant que de voir la musique arabe rester fidèle à ses fondamentaux, de faire la connaissance d’un des maîtres de la musique du Golfe, M. Ali Zakaria al Ansari (1929-2011), une éminente personnalité koweïtienne qui occupa de nombreux postes de responsabilité et dont les multiples dons musicaux et les grands accomplissements dans le domaine des symphonies sont mondialement reconnus.
Le Professeur Gargui effectua un nombre important de visites à Bahreïn, et il me fut donné, à chaque fois que je pus l’accompagner sur le terrain, de découvrir la matière qu’il cherchait à connaître dans le cadre de ses travaux sur la musique du Golfe arabe, la Presqu’île arabique étant pour lors terra incognita dans le domaine de la musicologie. Au cours de l’une de ses visites à Bahreïn, il fut accompagné par le Doyen de la Faculté des Lettres de l’Université de Genève. Une fois achevées les recherches qu’il voulait mener par la visite des autres pays du Golfe arabe, il publia en coopération avec le Musée de Genève la première version des enregistrements vocaux des chants et des courtes chansons populaires de la région, en symbiose avec un ouvrage dans lequel le chercheur avait consigné des informations sur chacun des arts enregistrés. À cette occasion, le Professeur rendit hommage au soutien qu’il trouva auprès des chercheurs locaux ainsi que des guides qui l’accompagnèrent et qu’il cita nominalement.
La relation avec le Professeur Gargui se poursuivit sur de nombreuses années, le Professeur coopéra notamment à la préparation des grands congrès mondiaux organisés par le Centre du Patrimoine populaire des États arabes du Golfe que j’eus à diriger de 1982 à 1986. Il fut d’une aide précieuse pour assurer la participation des chercheurs les plus éminents dans les différents domaines de l’ethnomusicologie, une science qui comptait à l’époque fort peu de spécialistes dans les pays arabes.
Or, voici plus de cinq ans que la revue LA CULTURE POPULAIRE s’efforce d’obtenir les droits de publication et de diffusion des travaux et recherches du Professeur Gargui, matière écrite aussi bien que sonore, afin d’en faire don à ses lecteurs. Des contacts ont à cet égard été établis avec les ayants droit, depuis le Musée de Genève qui se chargea de la première édition à la Société de production des cassettes qui avait racheté, à sa mort, aux héritiers les droits sur les enregistrements, et jusqu’à l’une de ses parentes. Des discussions eurent également lieu sur une éventuelle réédition – le tout sans résultat. La femme de lettres, Dr Maasouma Ali al Moutawa joua, de son côté, un rôle important dans les enquêtes et recherches qui nous permirent finalement d’obtenir la dernière copie des ultimes enregistrements sur lesquels le Professeur Gargui avait lui-même effectué des rectifications d’envergure. Cette copie fut alors remise à M. Yacoub al Mahraqi qui reprit à son compte, en tant que poète et homme de lettres parlant la langue française mais aussi en tant que chercheur compétent en la matière, les mêmes contacts et pourparlers, mais tous ces efforts ne débouchèrent sur aucune avancée.
Le lecteur trouvera dans ce numéro une étude d’une certaine étendue signée par mon auguste maître le Professeur Simon Gargui… Que Dieu ait son âme et bénisse les efforts qu’il avait accomplis sur le terrain au service de la culture musicale dans la région du Golfe.
Ali Abdalla Khalifa
Directeur de la rédaction