RITES ET PRATIQUES D’ACCUEIL DU NOUVEAU-NÉ À LA CASBAH D’ALGER
Issue 57
Fatima Skoumi
Docteur en anthropologie
Professeur-chercheur en préhistoire, sciences humaines et histoire (CNRPAH)
Diverses sont les croyances populaires qui, au long de l’histoire, se sont répandues dans les différentes régions du monde arabe, et multiple le rôle qu’elles ont joué dans l’imaginaire autant que dans le vécu des hommes. Même si le monde n’a cessé d’évoluer, elles sont restées présentes, notamment dans les sociétés encore attachées à leur culture traditionnelle ou à cette culture populaire, au sens large, qui fait que les gens s’accrochent facilement au passé ancestral et à des détails profondément enracinés dans le temps qu’ils ne cessent d’embellir. À cet égard, des pans entiers de la terre arabe demeurent imprégnés du parfum du passé et prêts à exhiber leur singularité.
Parmi les coutumes qui tentent de résister, l’auteur cite les rites accompagnant la venue au monde du nouveau-né. Chaque société a en effet des spécificités qui lui sont propres et des particularités qu’elle partage avec d’autres. La Casbah a, quant à elle, une singularité que l’auteur a eu la chance de connaître de près pour avoir vécu parmi les habitants du quartier sur une période d’au moins douze ans. Cette expérience, elle la considère comme d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans le cadre des croyances populaires que tout herméneute considère comme porteuses de signes et de significations reflétant un ordre culturel remontant loin dans le temps.
L’auteur se contentera dans le cadre de cette étude de recenser ces croyances et d’en regrouper les composantes. Mais c’est déjà une véritable course qu’elle engage contre le temps qui menace beaucoup d’entre elles de disparition, en raison des opérations de déplacement qui ont touché des centaines de familles et qui se poursuivent encore en raison du nombre important de bâtiments qui risquent à tout moment de s’effondrer sur leurs occupants. Le danger pour la vie même de certaines familles est en effet imminent, du fait de l’usure qui fragilise les toits et les escaliers, des fondations grignotées par les rats et de bien d’autres facteurs. Il était donc nécessaire d’intervenir sans délai pour que ne se perde pas tout un héritage qui tente de se maintenir en dépit des changements et mutations accélérés.
L’étude s’arrête aux limites du quartier de la Casbah où l’auteur a vécu parmi ses habitants et passé toute sa période de maternité à écouter les conseils et mises en garde de certaines de ses femmes dont il s’avère aujourd’hui qu’ils véhiculaient implicitement des valeurs auxquelles les femmes confèrent un statut préventif encore plus affirmé pour ce qui est de la protection du nouveau-né et des traitements à prévoir en cas de maladie. L’auteur a réussi à noter diverses données qui reflètent la vision des femmes du quartier, lesquelles sont toutes soucieuses de la voir appliquer à la lettre leurs recommandations qui d’ailleurs commencent avec les débuts de la grossesse.
Elle a pu en outre constater que beaucoup de femmes cachaient leur grossesse à leurs voisines, voire à certaines de leurs parentes, par peur de l’envie et du mauvais œil. Beaucoup d’habitantes de la Casbah ont en outre tendance à se prononcer sur le sexe de l’enfant sans passer par la gynécologue, mais en observant la forme du ventre de la future maman. Si celui-ci tend à gonfler dans le sens de la longueur, c’est que le nouveau-né sera un garçon, si le ventre a par contre tendance à s’arrondir, il s’agira d’une fille. Si c’est un garçon qui apparaît en rêve à la mère, c’est qu’elle va donner naissance à une fille, et l’inverse est tout aussi vrai.