Revue Spécialiséé Trimestrielle

LA MIGRATION DE LA SÉANCE (MAQAMA) VERS L’ANDALOUSIE La ‘’Maqama de l’Aïd’’ entre forme classique importée et contenu populaire local

Issue 56
LA MIGRATION DE LA SÉANCE (MAQAMA) VERS L’ANDALOUSIE La ‘’Maqama de l’Aïd’’ entre forme classique importée   et contenu populaire local

Mohamed Merini

Université de Mohamed I

Faculté du Nadhour. Maroc

Les Maqamet (séances littéraires très codifiées) d’Al Hamadhanî et d’Al Harîri ont consacré l’autorité d’un modèle resté inchangé au long de l’histoire de la littérature arabe. Ce modèle a fait de la kodia (mendicité, gueuserie) son sujet, de la fourberie son thème et de l’excès rhétorique le moyen d’exhiber la prouesse formelle au plan de l’expression verbale. 

La ‘’Maqama de l’Aïd’’ d’Ibn Murabi’a al Azadi fait exception à cette règle qui pose que « l’unité de la maqama est dans l’unité du fond et de la forme ». Al Azadi a en effet puisé son inspiration dans les milieux populaires de Grenade où il a vécu et dont il a assimilé les spécificités culturelles et sociales. 

On pourrait classer comme suit les infractions à la forme classique de la maqama orientale :

 

  • Les événements sont imprégnés de couleur locale, en rapport avec certaines traditions festives espagnoles qui s’inscrivent dans le cadre de ce que les Espagnols appellent corrida de toros, sachant que ces festivités populaires sont attestées dès le VIIIe siècle de l’Hégire, et que la corrida a par la suite évolué jusqu’à se fixer dans sa forme actuelle. 
  • Nous sommes dans la ‘’Maqama de l’Aïd’’ en présence de personnages inspirés des milieux populaires de la ville de Grenade : l’archiviste, le comptable, le secrétaire, l’argousin, et bien d’autres figures qui ne se rencontraient pas dans les maqamas classiques dont le récit mettait en scène des personnages stéréotypés. Le narrateur traditionnel est également absent alors qu’il avait, dans la maqama classique, notamment pour fonction d’attribuer dans un bref préambule à la séance, le récit à un premier rapporteur qui invoque un second, lequel se réfère à un troisième, etc. à la manière des préambules aux hadiths du Prophète. Le rôle du narrateur dans la ‘’Maqama de l’Aïd’’ est assimilable à celui du munadi (crieur public) qui transmet à haute voix un avis ou une information à la foule massée dans les marchés : « Oyez, oyez ce que vous dit celui-là qui vous est si reconnaissant et ne cesse de citer vos hauts faits et gestes… Oyez ce qui ne peut que flatter l’ouïe et plaire l’entendeur… »
  • Sur le plan linguistique, la ‘’Maqama de l’Aïd’’ est riche en maskoukets (formules lapidaires) qui se caractérisent par leur beauté, leurs significations suggérées et leur aptitude à condenser les idées en peu de mots. Al Azadi puisait ces maskoukets dans la parlure locale qui a fait des proverbes une véritable « monnaie courante », devenue depuis un objet d’étude pour les chercheurs anciens et modernes qui ont consacré au sujet divers ouvrages à l’instar des Proverbes populaires d’Andalousie ou Proverbes et dictons d’Andalousie et du Maghreb, etc.
  • La langue consacre le caractère populaire par excellence de la maqama, en raison de la fréquentation des étrangers, car, comme disait Ibn Khaldoun : « qui fréquente les étrangers ne cesse de s’éloigner de sa langue d’origine ». L’auteur cite ici diverses déformations lexicales ou graphiques de mots arabes et souligne la présence de quelques vocables empruntés au dialectal, chose inhabituelle dans la maqama classique qui est connue pour la force et la complexité de son style.  

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