LA ZERDA : ENTRE LICITATION TRIBALE ET INTERDIT RELIGIEUX
Issue 56
Dr Mongia Toumi
Chercheure. Tunisie
La zerda est une manifestation humaine qui remonte aux origines de l’humanité. Les peuples arabes des temps modernes aussi bien que des temps anciens l’ont bien connue et pratiquée sous diverses formes. Les motifs n’ont guère changé avec les époques puisque le but de ces agapes est de se rapprocher du sacré sous toutes ses formes : entités et êtres vivants.
Il s’agit d’une manifestation anthropologique pratiquée sous la forme de rites cultuels structurés auxquels participent les sociétés tant modernes qu’anciennes qui en font leur vivre. À travers ces cérémonies les hommes construisent leurs symboles ainsi que les représentations qu’ils se font d’eux-mêmes, des choses et du monde, et c’est par leur entremise qu’ils définissent les normes et les modalités de leur existence collective.
Les représentations théoriques de la zerda sont nombreuses et diverses, elles varient selon les points de vue. Beaucoup parmi les gens ordinaires la considèrent comme une pratique licite en même temps qu’une coutume ancestrale dont la célébration ne saurait être abrogée. La communauté des ulémas et des jurisconsultes a, en revanche, prononcé son interdiction en tant que pratique contraire aux enseignements de l’Islam qui exhorte à s’affranchir de ces coutumes tribales héritées du passé, la communauté ayant estimé que la zerda ressemble aux festivités célébrant « les noces de Satan ».
L’homme arabe pratique de nombreux rites aux fins de se rapprocher du sacré sous ses diverses formes. Ces rites « consistent en un ensemble d’attitudes et de gestes faisant écho à une expérience religieuse intérieure et visant à nouer une relation avec les univers de la sacralité ». Parlant de la culture de l’ancien Orient, Faras Sawah classe les pratiques rituelles en trois types principaux : les rites magiques, les rites religieux de routine et les grands rites cycliques.
Les rites magiques reposent sur la croyance en la présence d’une force surnaturelle partie de l’ensemble des manifestations de l’univers, force que le magicien ou le prêtre expert dans l’art de la magie peuvent posséder et utiliser pour guérir les maladies incurables, chasser les esprits maléfiques et maîtriser les éléments naturels.
Les rites cycliques, sont ceux qui sont organisés en tant que rites de l’abondance et de la fertilité.
Quant à la zerda, elle fait partie des rites religieux de routine que les hommes pratiquent pour se rapprocher des saints. La prière accomplie, on prépare le repas et on sacrifie les animaux. Mets et boissons accompagnent la visite aux mausolées. Les actions empreintes de sacralité auxquelles se livrent les fidèles constituent l’une des formes de cette piété populaire qui constitue le cadre à l’intérieur duquel se forment les croyances et se déroulent des rites cultuels et festifs où s’épanouit le sacré. De telles célébrations sont considérées comme autant d’hommages à la mémoire du saint.
Bien que la zerda soit interdite par l’Islam la plupart les peuples arabes, toutes doctrines et écoles de pensée confondues, la considèrent comme licite et voient dans sa célébration une action de grâces. Tous continuent en effet de croire aux saints et ne peuvent renoncer à leur attachement à ceux-là qui ont protégé le pays et comblé les hommes de leur bénédiction. En Tunisie, de tels repas festifs sont toujours à l’honneur et les célébrations demeurent un hommage aux saints et un appel à leur intercession.