L’ANTHROPOLOGIE LOCALE DANS LES PAYS DU GOLFE ARABE L’exemple de Abdallah Abdul Rahman Yatîm
Issue 56
Dr Dahmani Sulaiman
L’étude vise à mettre en lumière l’itinéraire et les apports de l’une des figures les plus connues de la région du Golfe et du monde arabe dans le domaine de l’anthropologie : le chercheur bahreïni Abdallah Yatîm. Elle se fonde sur ses œuvres et ses articles mais aussi sur certaines de ses déclarations, reprises dans le texte. Trois secteurs essentiels ont été scrutés : le travail d’anthropologue sur le terrain, la pensée anthropologique moderne et l’action culturelle officielle.
Abdallah Yatîm n’a eu de cesse d’affirmer la nécessité de l’enquête anthropologique sur le terrain, l’étude théorique ne pouvant suffire compte tenu des moyens limités dont elle dispose par comparaison avec le travail à mener auprès des populations. Yatîm a pu, en tant qu’anthropologue opérant sur le plan local et connaissant l’idiome et le substrat historique de la société étudiée, collecter des informations et réunir des connaissances d’une grande richesse sur la physionomie et la culture des sociétés tribales du Golfe arabe. Il a également entrepris de nombreux travaux comparatifs, ce qui a contribué à combler les déficits dont souffrent les études anthropologiques en ce qui concerne les structures et les organisations traditionnelles dans la région, et plus particulièrement dans la chaîne de montagnes d’Al Hâjar et au désert des Émirats, localement appelé Adh-dhahera.
L’intérêt de ce chercheur pour la pensée anthropologique moderne, ses orientations, ses écoles et ses maîtres s’inscrit dans le cadre de la vision qui fut toujours la sienne et qu’il résume en ces termes : « L’anthropologie est une science et une spécialité académique qu’il est du devoir des anthropologues arabes de faire connaître au lecteur arabe, qu’il soit ou non du domaine, d’une façon objective et moderne, digne du statut de cette science et propre à la réhabiliter. » Abdallah Yatîm a en outre contribué à changer l’image stéréotypée de l’anthropologie qui avait cours dans la région du Golfe et dans le reste du monde arabe en œuvrant à faire connaître d’autres figures et écoles de cette science, en particulier l’école française. Il importe à cet égard de souligner qu’il fut le premier à élaborer les programmes de formation en anthropologie, et l’un de ceux qui ont contribué à l’organisation du cursus des sciences sociales et humaines du département des sciences sociales de la Faculté des lettres de l’Université de Bahreïn.
Quant au rôle qui fut le sien à la direction des affaires culturelles dans son pays il consista en la mise en application scientifique de son savoir d’anthropologue ainsi que des expériences qu’il mena en tant que chercheur sur le terrain, dans le secteur de la culture populaire et de la création artistique sous ses diverses formes. Ces responsabilités officielles lui permirent en effet d’observer de près les mutations que la culture, et de façon plus spécifique la culture populaire, a connues, à Bahreïn et dans les autres États du Golfe arabe, et leurs effets sur le processus de formation et de reproduction des identités culturelles et nationales au sein des sociétés de la région. Elles furent également pour lui l’occasion de nouer des contacts et de développer des rapports de coopération et de collaboration avec de nombreux chercheurs arabes et étrangers, en particulier les savants danois membres de l’Université et du Musée d’Aarhus et du Musée national du Danemark. D’autre part, l’homme entreprit la lecture critique de certains écrits d’anthropologues européens consacrés à la société et à la culture dans la région du Golfe, ce qui lui permit de proposer dans son livre intitulé Le Golfe arabe : études anthropologiques la classification de certains ouvrages théoriques n’émanant pas de ses propres études sur le terrain mais portant sur des questions sociales et culturelles en rapport avec trois pays de la région : Bahreïn, Les Émirats et Qatar. La même démarche fut à la base de son autre livre : Bahreïn. Société et culture : études anthropologiques, qui présente une analyse anthropologique de la société et de la culture bahreïnies et une réflexion sur les mutations que la structure sociale du Royaume a connues.
L’auteur souligne avec force la contribution d’Abdallah Yatîm, en tant qu’anthropologue, universitaire et intellectuel arabe à de nombreux débats sur des questions politiques, sociales et culturelles concernant Bahreïn, la région du Golfe et le monde arabe, à travers des articles de presse, des tables rondes et des rencontres télévisées, débats consacrés notamment aux thèmes suivants : La situation de la culture à Bahreïn ; La culture et le projet de réforme politique du Roi Hamad ; La crise bahreïnie de février 2011 ; Le fondamentalisme chiite à Bahreïn ; Manama, ville arabe : une critique du néo-orientalisme ; Les problèmes de l’action culturelle dans les pays du Golfe ; La culture arabe face à la mondialisation. Chacune de ces discussions fut pour le chercheur l’occasion de souligner l’importante contribution que l’anthropologie peut apporter, à côté d’autres spécialités en sciences humaines et sociales, à la résolution de certaines questions vitales et à l’information de l’opinion publique.