LA CULTURE POPULAIRE EN TANT QUE PROFONDEUR STRATEGIQUE
Issue 9
L’initiative était d’autant plus remarquable qu’elle a été lancée par une association politique qui a voulu ainsi témoigner de son intérêt pour la culture populaire, dans un contexte local marqué par toute une effervescence où s’expriment de multiples orientations, débats et objectifs politiques, dans un climat de dialogue démocratique ouvert. Lorsque, au terme de longues discussions, les participants à cette réunion préparatoire ont acquis la conviction qu’une telle Conférence a pour seule finalité de contribuer aux activités culturelles publiques – un objectif noble, en soi –, ils ont conclu à l’unanimité que de telles manifestations pouvaient être assumées par n’importe quel petit club, de ville ou de village.
Ils estimèrent, au surplus, que le rôle qui devrait être dévolu aux institutions culturelles, politiques ou sociales qui ont leur importance ainsi que leur histoire devait dépasser, et de très loin, cette première étape.
Il faut dire que, pendant près de quatre décennies – c’est-à-dire depuis l’époque où la région a pris conscience de l’importance de cette dimension de sa culture, tant dans sa forme locale que nationale, et où certains pays arabes ont commencé à prendre la mesure des exigences scientifiques de l’action à mener pour sauvegarder cet héritage culturel, qui est exposé plus que tout autre aux risques d’altération, de dégradation ou de déperdition –, il s’est tenu un nombre incalculable de colloques, séminaires, rencontres scientifiques, sessions de formation, etc.
qui ont nécessité de lourds investissements, et cela dans un but de sensibilisation et de formation à la collecte, à l’archivage et à la conservation des oeuvres relevant du patrimoine populaire. Il est certain que ces manifestations ont joué un rôle, au plan de la prise de conscience de la nécessité d’une telle action, mais il est tout aussi certain qu’elles n’eurent pas d’impact véritable, en termes de réalisations concrètes sur le terrain, sauf dans des cas rares et qui sont le fait d’efforts individuels volontaires. Le domaine de la collecte de la matière culturelle populaire est resté pour ainsi dire vierge, et cette matière précieuse a continué à être livrée au pillage, par manque de discernement mais aussi en raison de la dispersion des initiatives et de l’absence quasi-totale d’une implication sérieuse.
Si seulement une fraction des sommes dépensées avait été, depuis le début, consacrée à doter des cadres universitaires spécialisés d’une formation dépassant le niveau des interventions routinières que nous connaissons dans nos pays, la région arabe aurait disposé d’un nombre non négligeable d’experts et de consultants qui auraient, à leur tour, contribué à la formation de chercheurs passionnés par le travail sur le terrain. Nous aurions alors – mais ce ne fut pas le cas – assisté à un transfert massif de cette matière culturelle de la mémoire des praticiens, témoins, aèdes et autres maîtres de la culture orale vers les bibliothèques et médiathèques électroniques ainsi que vers d’autres espaces virtuels qui auraient permis, au moyen de l’Internet, l’accès à cette matière et l’utilisation la plus diversifiée de ses potentialités.
Toute manifestation de ce type – quelles qu’en soient la provenance ou la nature – ne saurait, à présent, que répéter et édulcorer ce qui a déjà été produit, au cours de toutes ces longues années passées : elle ne peut être à nos yeux que pure perte de temps, d’énergie et d’argent. Il suffit !
Nous déjà laissé se perdre tout un pan de ce patrimoine à cause de la disparition de tant de fidèles héritiers, de merveilleux praticiens et d’artistes authentiques qui ont illustré cette tradition ! Si de véritables efforts se manifestent et qu’il existe une ferme volonté de contribuer au développement de la culture populaire, ils doivent aujourd’hui être directement orientés vers la recherche sur le terrain. Tous les moyens, instruments et approches scientifiques doivent être mobilisés pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être des richesses de notre patrimoine populaire. Tout le reste ne serait que gesticulation sans objet.
On pourrait penser qu’une telle initiative ne fait pas partie des tâches prioritaires, au regard du calendrier d’une association politique. On pourrait même se dire que cela ne relève guère du champ politique ! Nous y voyons, pour notre part, la véritable profondeur stratégique de toute action politique. Notre culture populaire n’est-elle pas l’expression des diverses races et ethnies constitutives de la nation – l’expression même de notre pluralité ? N’est-elle pas la substantifique moelle de nos expériences arabes dans leur interaction avec celles des civilisations voisines ? Cette culture, en sa spécificité, n’est-elle pas aussi l’un des riches affluents de notre culture nationale ? Et cette culture nationale n’est-elle pas l’une des composantes essentielles de notre identité ? La culture n’est-elle pas la profondeur stratégique du projet de réforme nationale ? Et, pour prendre un exemple, cette revue, La culture populaire, n’est-elle pas en soi l’un des fruits de cette vision sur le long terme que Sa Majesté le Roi, souverain du Royaume du Bahreïn, a voulue pour renforcer notre culture nationale et réaffirmer hautement le message du Bahreïn au monde ?
Collecter, archiver et conserver la matière de la culture populaire est une cause d’importance qui relève de la responsabilité de l’organe concerné de l’Etat, mais aussi de l’ensemble des institutions de la société civile : clubs, associations culturelles, scientifiques, politiques et sociales, tout autant qu’elle relève de la responsabilité de chaque famille et de chaque individu. Elle est notre cause et notre mission à tous.
La rédaction