LA GESTE HILALIENNE ENTRE ORALITE ET TRANSMISSION ECRITE
Issue 43
Mahmud Romdhan Al Jabour
Beaucoup de chercheurs insistent sur la nécessité de faire la différence entre légende et conte. Trois notions doivent cependant être distinguées au niveau des procédures d’analyse, même s’il s’y rencontre des points d’intersection ou de convergence. La légende est liée à la mythologie, elle a un caractère religieux et représente, pour reprendre les mots de Firas Al Sawah, « la première aventure de l’esprit ». Le même critique estime que le conte populaire se distingue du récit merveilleux et du récit héroïque par les préoccupations sociales qui s’y expriment, et par ses thèmes qui tournent presque exclusivement autour de questions en rapport avec les relations sociales, et plus particulièrement familiales. Le conte populaire relève de l’effort des hommes qui tentent d’expliquer ce qui est et ce qui survient. Le conte, dont il n’est pas exclu qu’il soit né dans certains cas de ces tentatives, et qu’il ait pris par la suite une coloration populaire au gré du milieu et des mutations culturelles de la société, est « la relation d’un événement ancien, transmise par voie orale, d’une génération à l’autre, à moins qu’il ne s’agisse d’une libre création narrative que l’imagination populaire a tissée autour d’événements importants ou de figures et lieux historiques. » Quant au récit merveilleux, il est lié à des narrations et à des relations qui nous transportent hors du réel. L’oralité semble être l’une des premières caractéristiques du conte alors que la légende se rattache à l’écrit. Le mot arabe ustura (mythe et/ou légende) vient d’ailleurs de sattara qui signifie écrire (Iittéralement : tracer des lettres).
Proche du conte est ce type de narration que l’on appelle en Egypte hoddotha (littéralement : bref propos), qui est une sorte de diminutif propre au dialecte égyptien, construit sur le verbe haddatha (prendre la parole pour raconter), et fréquemment utilisé par les populations rurales.
Le conte populaire est une des composantes essentielles de la culture universelle. Il naît avec la prise de conscience par l’enfant de son être au monde et constitue un des domaines féconds des études sociales, culturelles et anthropologiques, ainsi que de la critique littéraire. Les études qui lui sont consacrées dans le monde arabe demeurent marginales, comparées à celles qui portent sur la littérature classique qui est en arabe littéral. Il s’agit pourtant d’un domaine important car le conte relève de la littérature orale qui est, plus que toute autre, capable d’exprimer les thèmes et les véritables composantes de la culture de la grande majorité des peuples. Le conte est aussi, d’un autre côté, une composante essentielle de la littérature non populaire.
La sîra (geste) hilalienne se subdivise en trois parties :
Première partie : Elle relate l’histoire des Banu Hilal qui commence dans la presqu’île arabique, au Yémen, et se poursuit à Nadjd. Elle cite, parmi leurs cheikhs et leurs valeureux chevaliers, Jabeur et Jubayr, l’un et l’autre fils de Mondher al Hilali. Jubayr est monté à Nadjd dont il devint, par la suite, le sultan. On compte parmi les descendants de Jabeur l’émir Hazem et l’émir Rezk qui furent les gouverneurs de l’une des régions du Yémen. L’émir Rezk épousa la fille du Cherif de la Mecque dont il eut un fils à la peau foncée qui reçut d’abord le nom de Baraket avant d’être appelé Abu Zayd.
Deuxième partie : Elle relate la migration des Banu Hilal vers le Nedjd, à la suite de la famine qui a frappé leur terre natale, au Yémen. La Sîra hilalienne évoque des guerres qui ont duré des années entre diverses branches de la tribu de Banu Hilal.
Troisième partie : Ici, les péripéties tournent autour de l’expédition des Banu Hilal au Maghreb. Accompagné de ses partisans, Abu Zayd se met en route vers Tunis, à la recherche d’une terre fertile, à l’époque où la famine a frappé le Nadjd. La geste raconte comment il entra en contact avec les Berbères, puis les conflits entre les Hilaliens et Al Zennati Khalifa et Dhiab ibn Ghanem qui s’achevèrent par la mort violente d’Al Zennati Khalifa. Les Hilaliens s’opposèrent alors sur le partage des biens d’Al Zennati, puis une guerre éclata entre Abu Zayd et Dhiab au terme de laquelle le second donna la mort au premier.