LE VOILE DES TOUAREGS ETUDE ANTHROPOLOGIQUE ET SOCIOLOGIQUE
Issue 41
Youssef ben Moussa
Chercheur. Tunisie.
L’habit résume en soi le large éventail des règles sociales, religieuses et éthiques qui définissent les rôles dans telle ou telle société. C’est pourquoi il est devenu un domaine de recherche mobilisant différents savoirs et méthodologies.
L’étude de l’habit d’un point de vue anthropologique permet de découvrir de nombreuses données relatives à la naissance des croyances, des idées, des formes de religiosité, des processus de développement social, sans parler des échanges et des modes d’acculturation. L’auteur a choisi d’examiner une manifestation unique en son genre dans la culture arabo-musulmane, celle du litham (voile) targui que les hommes du grand Sahara africain ont pris depuis des millénaires l’habitude de porter et auquel ils sont restés fidèles jusqu’à nos jours.
La société targuie est une société traditionnelle fondée sur une stratification sociale rigide. Certains touaregs descendent de tribus nobles, d’autres de tribus d’esclaves, deux castes entre lesquelles se trouvent les tribus des el etba’a (les vassaux) et celles des religieux. Leur mode de vie est, pour l’essentiel, dominé par la bédouinité et leur économie fondée sur le pâturage, les conquêtes, les razzias, la chasse et le commerce. La structure sociale targuie a un caractère quasi-matriarcal, et la femme y occupe une position éminente dont peu de leurs congénères bénéficient habituellement dans les sociétés musulmanes.
L’auteur a choisi de s’intéresser de façon particulière au port du litham en raison de l’unicité de cette pratique dans un environnement où d’habitude l’homme ne se couvre pas le visage, à l’opposé de la femme qui porte généralement le voile, le hijab ou la burqa. La société targuie a donc inversé les rôles, les hommes se couvrant le visage d’un litham et les femmes se présentant à visage découvert.
Le port de ce type de voile doit être considéré comme une coutume ancestrale des Touaregs dont on ne connaît pas l’historique avec précision. La mention la plus ancienne de ce vêtement est probablement celle que l’on trouve chez Al Yacoubi. Mais si la présente étude ne vise pas à reconstituer l’histoire de ce litham, la rigueur méthodologique exige que l’on s’interroge sur l’origine et le caractère authentique de cette manifestation culturelle chez le Targui. Car ce voile est resté jusqu’à nos jours l’emblème le plus reconnaissable de cette population. Beaucoup de coutumes ont changé, mais le port du litham est resté ancré chez ces hommes qui le considèrent comme leur tenue officielle. Les Touaregs participent aux forums internationaux le visage entouré de ce voile bleu ou blanc, ne consentant en général qu’à cette simple concession qui est de faire baisser le tissu juste en-dessous de la narine.