LA DANSE DE HOUBI : UN RITE DE PASSAGE ET DE RETROUVAILLES AVEC LES TEMPS MYTHIQUES
Issue 40
Fatima Dilmi
La houbi est une célèbre danse populaire collective exécutée dans les diverses circonstances par la population de la région de Lougarta, à Béni Abbas, dans le gouvernorat de Béchar, au sud ouest de l’Algérie. Y participent les hommes et les femmes du village. Les hommes – adultes aussi bien que jeunes ou adolescents, certains mariés, d’autres célibataires, différant les uns des autres par l’âge aussi bien que par le statut social et leur nombre variant selon le souhait des présents de participer ou non à la cérémonie – forment une seule rangée fortement soudée qui fait face à une femme (parfois plus).
La danse est conduite par un chef qui se tient au milieu du rang. Tous se mettent à danser en produisant un mouvement ondulatoire du corps, en frappant le sol de leurs pieds et en tapant dans leurs mains. Ils s’adressent, à intervalles réguliers, à la danseuse en poussant le cri de houbi. D’un seul tenant et rectiligne, au début de la danse, lorsque les mouvements sont encore lents, le rang ne tarde pas à prendre avec l’accélération du rythme, une forme semi-circulaire, de sorte que les hommes entourent la danseuse qui répond de son côté d’un mouvement de son corps qui va s’accélérer au rythme que la musique. En même temps, cette danseuse se rapproche de plus en plus de la rangée des hommes qui l’enveloppent à leur tour en une proximité qui ressemble à l’approche amoureuse. La danse continue ainsi en oscillant entre deux mouvements, l’un rapide et fiévreux, l’autre lent et langoureux.
Le mot houbi qui revient régulièrement au cours de la danse éponyme est proche par le sens et les sonorités de houbba, mot que la mère ne cesse de répéter à son bébé en le berçant. A chaque fois que la mère amazighe prend son enfant et le lance en l’air, c’est toujours ce mot qu’elle prononce avant de recueillir l’enfant dans ses bras. Houbba est donc lié à ces tressautements que l’on va retrouver dans la danse de houbi. Les natifs de Lougarta nous ont, du reste, confirmé que les danseurs lancent ce mot à la danseuse qui participe à la cérémonie pour la stimuler, un peu comme s’ils lui criaient : « Danse ! Mais danse !».
Cette explication fondée sur le lien établi entre houbi et le mot amazighe houbba n’est pas gratuite car il s’agit d’une danse qui remonte aux temps primitifs, c’est même la plus ancienne des danses dans la mesure où elle a pour base rythmique non pas la musique instrumentale mais la scansion des mains qui applaudissent et des pieds qui frappent le sol.
La houbi ne se danse pas à l’intérieur mais à l’extérieur des maisons, les habitants de Lougarta ayant conservé à ce jour leurs coutumes et rites primitifs. Tous, filles et garçons compris, se rendent à un lieu consacré aux fêtes de mariage et autres cérémonies que les gens de la région appellent Al Habiss et qui est en fait un lieu sacré. Le simple fait de quitter la maison pour y aller représente, ici, une forme de mort symbolique, car les rites de la mort et de la naissance sont accomplis à l’intérieur de cette aire sacrée.
L’homme qui est soumis à des rites de passage est éloigné de son domaine profane – la maison, par exemple – et conduit à un espace que le groupe aura sélectionné sur la base d’indices signalant sa sacralité. La perception par l’homme primitif du lieu est similaire à sa perception du temps, elle est fondée sur la disparité : il y a l’espace profane et l’espace sacré qui est réservé à la pratique des rites sacrés. « L’homme imprégné de religion croit qu’il n’existe pas de lieu cohérent, on trouve partout des coupures, des vides et des zones différant qualitativement des autres. »
Cette danse appelée houbi a un caractère collectif, elle est pratiquée au sein de la nature, à des moments précis qui sont des moments de passage, comme la célébration du septième jour de la naissance, de la circoncision, du mariage, du hajj à la Mecque, etc. Mais c’est le mariage qui est le plus lié à cette danse, « les jeunes des deux sexes devant à cette occasion faire leurs adieux à l’enfance et à l’adolescence pour franchir la porte qui conduit à l’univers de la maturité », exactement comme le faisait l’homme primitif qui croyait à l’incomplétude de l’être naturel, de sorte que l’individu se trouvait soumis au cours des différents cycles de son existence à un ensemble de rites qui le dépouillaient de ses attributs d’être naturel et l’élevaient au statut que la divinité lui a destiné. « L’être dans les sociétés primitives n’est pas considéré comme ‘’achevé’’ sous la forme qui est la sienne au niveau naturel de son existence. Pour qu’il devienne un homme au sens plein du terme il faut qu’il meure à cette existence première qu’est l’existence naturelle et qu’il renaisse pour vivre d’une existence haute qui est une existence spirituelle en même temps que culturelle. » Il devient un être ‘’achevé’’ une fois qu’il a reçu des mains de la divinité l’expérience sacrée lors de son passage vers le monde sacré.