AINSI JOUA MON GRAND-PERE
Issue 34
Texte et illustrations de Yasser Mohamed Abu Noqta
Rompant avec les efforts et les préoccupations du quotidien et dispensant aux hommes le repos et la détente, tout en contribuant à développer l’esprit d’entraide sociale, les jeux n’ont été inventés que pour soutenir l’action responsable. Ils sont d’abord venus de la terre nourricière qui leur a offert les premiers matériaux tout simples, et qui ont ainsi permis aux hommes auxquels ils apportaient un vrai bol d’air frais et de réels moments de joie de se regrouper autour des aires de jeu.
Certains jeux se sont développés et ont pris forme au hasard d’une situation donnée ou d’une idée jaillie de l’esprit. D’autres furent le fruit de longues réflexions. Mais, ici et là, les moments de détente se sont imposés comme un indispensable contrepoint à la dure réalité. Au terme d’une saison difficile, dans la nuit succédant à une longue journée d’hiver, voici que l’on sort les petits cailloux, que l’on vient taper dans le ballon, que les cris fusent à tue-tête ou que l’on se met à frapper l’une dans l’autre les deux mains : tels sont les jeux auxquels mon grand-père se livra avant que je ne les apprenne, à mon tour, ces jeux même qu’il enseigna à mon père, lequel se chargea de me les transmettre. Mais, peut-être, ne fus-tu point, ô grand-père, le premier à les avoir inventés, ces jeux, puisque certains d’entre eux nous ramènent des milliers d’années en arrière, nous replongeant dans des contrées où fleurirent les plus hautes civilisations de l’histoire.
Certains peuples ont connu des exercices tels que la lutte, la course ou les compétitions sportives qui se tenaient sur les places publiques, dans les stades ou les amphithéâtres, mais ces jeux n’étaient, à la vérité, que le couronnement d’une évolution à partir de manifestations bien plus primitives. Car les jeux de mes aïeuls nous renvoient à des occurrences plus modestes dont la spontanéité fut la base, le pré l’arène, le tissu la tablette, mon grand-père et le tien les champions.
Le chercheur Tayssir al Faqih s’étend dans ses nombreux écrits sur les bénéfices du jeu et des moments de détente qu’il résume en ces termes, dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à LA CULTURE POPULAIRE :
« Les jeux visent à donner plus de dynamisme au corps et plus de puissance à la mémoire, mais aussi à développer les dons, à enraciner les relations sociales en ce qu’elles ont de meilleur, à concrétiser l’esprit de fraternité et de coopération et à éliminer les différences matérielles et raciales entre toutes les couches de la société.
Les jeux sont aussi une école de patience, d’endurance et de constance ; ils affinent les âmes en obligeant chaque joueur à obéir aux règles de chaque compétition, à ne pas attenter aux droits des autres, à se discipliner et à ne jamais céder à la tentation de frauder ou de tricher.
Les jeux populaires jouent un rôle important dans la mesure où ils encadrent l’héritage populaire lié au mouvement, au rythme, au chant et à la musique populaires. Ils contribuent également, d’une génération à l’autre, à la transmission naturelle et spontanée des savoirs et des us et coutumes populaires, de sorte à constituer un fonds de culture populaire riche de significations, d’expériences et de symboles, aux plans humain et social, à travers lesquels s’affirme l’appartenance au groupe et le lien indéfectible à la terre et à la patrie. »