LES SYMBOLES ET LEURS SIGNIFICATIONS DANS LES TISSAGES DU SUD DE LA TUNISIE
Issue 33
Mohamed Jaziraoui
L’étude porte sur les principales caractéristiques des symboles qui couvrent une partie importante des différents tissages traditionnels, dans quelques villes et villages du sud tunisien. L’auteur tente de comprendre les significations locales et universelles de cet artisanat et de mettre en évidence l’influence d’autres civilisations à partir d’une approche fondée sur une classification de ces produits selon leurs fonctions.
- La « battanya » (grosse couverture en laine) de Gafsa :
Quelle que fût l’origine de ces symboles, ceux-ci obéissent, de par leur contenu, aux enseignements de la religion. On y remarque, au plan formel, une grande cohérence entre les dimensions et les couleurs. Le travail des artisanes hemamas (grande tribu du sud-ouest tunisien) a en effet pour base cette règle de cohérence, quand bien même ces femmes bénéficient d’une certaine marge de liberté qui autorise la créativité et contribue à l’émergence de nouveaux modèles.
La tisserande utilise de façon intensive la forme du triangle. Comme chez les autres peuples du monde, le triangle équilatéral symbolise l’élévation et l’harmonie. Dirigé vers le haut, son sommet désigne le feu et la virilité ; pointant vers le bas il symbolise l’eau et la féminité. Le losange se réfère également, le plus souvent, à la féminité, mais lorsqu’il a une forme allongée il désigne la communication et l’échange.
- Le mergoum (tapis traditionnel à gros points) :
Parmi les tissages riches en symboles, nous avons le mergoum dont la réputation est surtout liée à la ville d’Ouedhref, même si d’autres régions du sud de la Tunisie présentent certains modèles de tapis qui sortent de la norme et où les artisanes rivalisent d’invention.
Les formes géométriques constituent, ici, des figures abstraites originales qui renvoient à la pérennité des choses et à la continuité de la vie, à l’image de l’horloge de sable qui est un symbole commun à tous les peuples, non seulement par sa forme mais aussi par les significations qu’elle recèle.
En plus de ces produits tissés qui peuvent tout aussi bien servir comme couvertures que comme tapis, les femmes de Nefzaoua ont excellé dans la production de tissus en laine de mouton, en poil de chameau ou en poil de caprins qui peuvent servir à fabriquer des tentes ou des sacs. Ces objets sont toujours chargés de symboles dont les significations sont multiples, renvoyant, pour certaines, à la prévoyance, pour d’autres à l’identité villageoise ou tribale. C’est le cas, notamment, pour ces tissages appelés attariqa ou al gherara.
Ce type d’artisanat constitue, grâce à la symbolique que recèlent les figures stylisées, un domaine aussi riche que révélateur des croyances qui ont cours au sein de la société, d’autant qu’il peut arriver que certains tissages soient réalisés à la demande de telle voisine ou de telle parente qui réclame tel ou type de dessin avec toutes les connotations que les formes induisent et qui sont de nature à nous renseigner sur la mentalité ou les croyances d’une catégorie sociale donnée.
Ces symboles qui ornent les tissages traditionnels du sud-ouest tunisien ou d’autres régions de la Tunisie sont toujours porteurs de multiples significations, quelle que soit la fonction de chaque pièce. Dans certains cas, la forme renvoie à des aspects spirituels fondamentalement liés aux us et coutumes des sociétés locales, d’autres se rapportent aux appartenances tribales et villageoises et, partant, constituent un gisement de signes où s’inscrit une part de la mémoire populaire. Sachant que notre patrimoine populaire est partie intégrante de notre identité, et compte-tenu de la part de plus en plus restreinte que les industries modernes concèdent à ces symboles, c’est l’identité culturelle autant que les spécificités régionales qui se trouvent menacées en cet âge d’uniformisation.