Revue Spécialiséé Trimestrielle

LE RECIT FABULEUX EN ALGERIE Lecture sémiologique du conte de Toula

Issue 32
LE RECIT FABULEUX EN ALGERIE Lecture sémiologique du conte de Toula

Mohamed ben Malek
Algérie

Cette lecture sémio-narratologique du récit intitulé Toula (surtout connu dans la ville de Qir, Gouvernorat de Béchar, au sud-est de l’Algérie) souligne l’importance du concept de syntagme dans l’analyse des composantes narratives de tout récit. Ces composantes qui constituent une suite indépendante d’unités forment une séquence qui pourrait fonctionner comme un récit autonome s’il ne survenait quelque événement à la fin de la séquence induisant l’apparition d’une nouvelle séquence. A chaque fois qu’un échec se produit dans le cadre d’une épreuve, quelle qu’en soit la nature, ou au vu d’un dommage subi, au cours d’une précédente séquence, il naît un ensemble d’unités ou de fonctions à partir desquelles va se constituer une séquence ultérieure. C’est l’échec de la mère à conserver sa fille dans la première séquence qui va produire la deuxième, et l’échec de Toula et Youssef à réagir positivement à l’affaire de l’ogre (ou de la goule) qui va ouvrir la voie à la troisième séquence. Et c’est le non-respect par Toula de ses engagements vis-à-vis de la goule qui prépare la cinquième séquence, en dépit du succès de Youssef dans l’épreuve majeure, lors de la quatrième séquence, laquelle se déroule simultanément à la troisième. L’histoire aurait pu s’achever avec le retour à la maison de Toula et Youssef, sans la survenue d’un dommage à la fin de la cinquième séquence qui génère les sixième et septième séquences qui se suivent selon un ordre logique, le mariage qui est supposé clôturer le récit fabuleux devant être l’occasion d’une réunion entre deux protagonistes dont les destinées s’étaient nouées depuis qu’ils s’étaient éloignés de leur espace familier et réconfortant, réunion qui aurait consacré leurs mérites respectifs et scellé leurs existences, au terme de l’aventure.
L’histoire retrace deux itinéraires narratifs croisés, celui de l’héroïne, la victime Toula, qui est enlevée, pourchassée et métamorphosée; et l’itinéraire du héros quêteur, Youssef, qui est à l’initiative de l’action, qui affronte les dangers et défie les aléas du sort. Ainsi, Toula représente, d’après le modèle opératoire développé par lequel Greimas a synthétisé les rôles fondés sur les fonctions actancielles qu’assument les personnages selon Propp, la fonction objet, tandis que Youssef représente la fonction sujet. Cette classification actancielle des deux personnages centraux et des autres personnages n’empêche pas les acteurs d’assumer d’autres fonctions actancielles qui peuvent être aussi nombreuses que les séquences narratives. Toula et Youssef jouent le rôle d’adjuvants lorsqu’ils se présentent sous la forme d’un leurre ou lorsqu’ils prennent chacun l’apparence de l’autre, alors qu’ils sont poursuivis par la goule. Celle-ci joue, elle aussi, le rôle d’adjuvant lorsqu’elle conseille aux deux personnages de ne pas séparer les deux oiseaux qui, par contre, jouent avec le personnage du cousin paternel de Youssef le rôle d’opposant. De même, les passants, le vieillard, le corbeau et le cheval sont-ils les adjuvants de Youssef en tant qu’il est le sujet du récit.
Youssef incarne quasiment la totalité des rôles actanciels. Il est le sujet, le destinateur, le destinataire et l’adjuvant, ce qui suggère que le conte de Toula exprime l’hégémonie du système culturel masculin, au sein de la société algérienne. C’est là que réside, précisément, la spécificité culturelle des histoires fabuleuses, en général, et celles qui se rencontrent en Algérie, de façon particulière. Ces histoires n’en gardent pas moins leur universalité de par cette organisation harmonieuse de leurs syntagmes narratifs qui en fait une seule histoire dont les versions varient selon les peuples du monde. Car le récit, outre qu’il inscrit les événements à l’intérieur d’une réalité culturelle déterminée, à travers certains indices et certaines marques, comme les noms de personnes (Youssef…), développe, dans le cadre de la société algérienne, les rapports d’homme à homme, d’un côté, et d’homme à femme, d’un autre côté. Si le rapport homme/homme est un rapport de respect et de communication, quand bien même il serait fondé sur la hiérarchie et l’autorité, ainsi que le reflètent les deux contrats en rapport avec la question du mariage, contrats valant autorisation, qui lient, d’une part, Youssef à son père, et, d’autre part, son cousin à son oncle, c’est la relation entre homme et femme qui trahit de la façon la plus claire les principes de primauté et d’autorité. Cette relation se fonde sur la différence des sexes qui fait que l’accomplissement de l’acte aussi bien que commandement ou l’interdiction, l’autorisation, le consentement ou le refus sont exclusivement du ressort du mâle, ainsi qu’en témoigne le contrat valant autorisation et/ou protection liant Youssef et la mère de Toula à travers lequel le premier apparaît confiant et plein de détermination, malgré son jeune âge, alors que la mère semble incapable de marquer son opposition. La femme se  caractérise par la faiblesse, la plainte, les gémissements, l’obéissance et la démission, mais à des degrés variant selon qu’elle a un statut de femme libre ou d’esclave. Au plus lui arrive-t-il de prendre la parole, mais juste pour donner un conseil, comme dans le cas de la vieille femme. Le fait est que la différence entre l’homme et la femme est éternelle, tout autant que la différence entre la raison et la passion, le centre et la périphérie.

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