LE GENRE LITTERAIRE LE PLUS REPANDU AU YEMEN : LE ZAMEL
Issue 30
Le zamel représente un type ou une forme de poésie populaire du Yémen – ou, du moins, qui a pour origine le Yémen. Il est également le genre poétique le plus répandu dans ce pays. On appelle zamel « un type de rajaz (poème au mètre réputé facile) auquel les Yéménites ont recours lorsqu’ils se trouvent engagés dans une querelle ou une guerre : on voit alors le chef du groupe – qui, la plupart du temps, maîtrise l’art du zamel – ou quelqu’un d’autre se lever et improviser sur le mode du rajaz quelques vers dans son dialecte ; ces vers sont immédiatement repris par ses troupes qui les entonnent en chœur pour se mobiliser et se donner du cœur. De même, lorsqu’un groupe de gens ou les membres d’une tribu veulent faire entendre leurs revendications à un responsable, à un dirigeant politique ou à une autre tribu, ils envoient une délégation de représentants qui, dès leur arrivée à destination, se mettent à entonner le zamel qui contient leurs demandes et résume leurs doléances. Le zamel est le plus souvent en dialectal, le nombre de vers du poème varie de deux à huit.
On a pu penser que la pratique quotidienne a fini par faire du zamel une forme de folklore et de culture. Mais, avant de discuter de la teneur de cette affirmation, il convient de souligner la grande différence qui existe entre le zammel (avec deux m) et le badda’a : le premier est celui qui récite, psalmodie ou entonne le rajaz, le second est l’auteur du texte. On appelle le groupe ou les groupes qui se forment pour entonner collectivement ce type de poème les zammalas. Le plus souvent zammel et bada’a sont une seule et même personne. Le bada’a compose le poème, lequel est repris par le groupe derrière lui, mais il se contente rarement d’être l’auteur du texte, en général, il fait partie du chœur. Son chant est ensuite appris, puis il est transmis d’une génération à l’autre si bien que son nom finit par disparaître des mémoires, que son chant devient un héritage inscrit au grand registre du patrimoine collectif et ancré dans la mémoire du groupe, et que son œuvre sert de support à des contes de longueur variable.
On appelle ce poète badda’a (superlatif d’inventeur) parce qu’il invente le zamel en tant qu’art témoignant de la réalité du groupe. Une fois le zamel devenu chant on emploie le pluriel zawamel en référence au nombre de voix qui l’entonnent.
Les thèmes du zamel se multiplient au rythme de l’évolution des conditions, événements et aléas de la vie. Il est présent en temps de guerre comme en temps de paix, dans les crises, les incidents graves et les événements les plus douloureux aussi bien que dans les moments de liesse, les réceptions, les cérémonies d’adieu ou les joutes où chacun fait enchère de la gloire de son clan. C’est aussi un forum où les hommes s’expriment en toute liberté et proclament haut et fort les valeurs les plus nobles de cohabitation pacifique, de secours à ceux qui sont dans la détresse et de soutien aux victimes des injustices. Et c’est également un moyen pour conserver la mémoire du groupe et « archiver » les événements les plus contingents et les péripéties des luttes tribales.
Mohamed Mohamed Ibrahim
Yémen