Le Thilim Un Chant Des Pâtres Chameliers Du Sahara Tunisien
Issue 12
Mohammed al-Jazeerwi (Tunisie)
D ans un milieu désertique âpre où l’accès à l’eau constitue une question vitale, les tribus nomades du sud ouest de la Tunisie ont consacré une grande partie de leur énergie à la recherche de sources d’eau. Ces efforts se sont poursuivis à travers les générations jusqu’à la période, relativement récente, où ces populations se sont peu à peu laissé attirer par la vie sédentaire.
Dans l’impossibilité de doter leurs demeures de citernes, couvertes ou pas, en raison d’une pluviométrie faible et capricieuse, ces hommes du désert n’avaient eu, auparavant, d’autre solution que de creuser des puits, même s’il leur arrivait de tirer ponctuellement profit des mares et des flaques laissées par la pluie. Et ces puits eux-mêmes n’étaient pas une garantie absolue contre la soif, surtout s’ils n’étaient pas bien entretenus.
Toutes les composantes de la société tribale, femmes, cavaliers, chasseurs, bergers, voyageurs de passage, etc. se retrouvaient alors autour du puits. Les bergers, en particulier, avaient pour habitude de tirer l’eau de ces puits en accompagnant leurs efforts de chansons appelées at-thilim ou at-thoulim.
Transmises de génération en génération, les connaissances et les techniques qui permettent de puiser l’eau du puits, ont été parfaitement assimilées, d’autant que les gens se servent pour le dalw (outre qui se referme, une fois remplie, et déverse son eau à la sortie) de matériaux disponibles sur place, telles les peaux de chèvres ou de chameaux dont ils font des outres plus ou moins grandes, certaines pouvant tirer plus quarante litres d’eau et plus. Mais il est rare qu’ils se servent pour la fabrication de ces dalws de nouvelles peaux, se contentant, en général, de réutiliser, entre autres, des outres usées qui servaient à emmagasiner l’eau. Ils étaient, on le voit, soucieux de tirer le maximum de profit des objets qu’ils pouvaient posséder. Le dalw était appelé al ham (la misère), en raison de l’effort extrême que représentait l’extraction de l’eau des puits.
Dans ces conditions de travail très rudes, les bergers chantaient leurs airs préférés, de façon collective et selon une cadence régulière. La mélodie en était, en général, connue et uniformisée ; tout recours aux instruments à air ou à percussion était exclu. L’un des bergers chantait les paroles de la chanson, et les autres scandaient à sa suite ha, ha, hum (les voi, voi, voici), désignant par le pluriel les troupeaux de chameaux ou de moutons. De ces onomatopées ces hommes ont tiré le nom de ce type de chant: le thoulim ou thilim. Ce qui est exigé, ici, ce n’est pas la qualité de la voix, mais la capacité de l’exécutant à exciter l’ardeur de ses compagnons, ce qui confirme ce constat formulé par un spécialiste du patrimoine populaire: «La mémoire volontaire et qui permet de réciter les paroles et les mélodies est considérée, dans beaucoup de cas et chez bien des peuples, comme un avantage plus grand que la beauté de la voix.» (12) Les paroles, elles-mêmes, n’ont rien de fortuit, mais visent à signifier un certain nombre de choses.
Quant aux «chants du puits» ils recèlent un ensemble de termes qui renvoient à des faits historiques, à des événements qui ont marqué la vie des hommes sur une longue période, notamment les attaques menées par les tribus tunisiennes, les unes contre les autres, ou celles qui ont opposé ces dernières à des tribus libyennes ou algériennes et qui avaient pour objet la mainmise sur des puits, des points d’eau ou des pâturages pour les chameaux, attaques qui sont devenues partie intégrante de leur quotidien, et qui étaient considérées comme un moyen légitime de subsistance tout autant qu’un motif de fierté. Ce type d’attaque a pris le nom d’ez-zoghba.
Certains chants nous renvoient également à tel ou tel épisode de leur longue histoire, comme c’est le cas pour certains thilims, tel celui qui fut récité par Hoqwa (qui est appelé, dans certaines versions, Yahya), fils de la sœur de Bouzid al Hilali (héros de la geste hilalienne, grande épopée de la Tunisie médiévale), le jour où il avait fait halte près du puits de Naqwa (pureté), dans la région de Bougarfa, à l’est de la ville, située aux confins du Sahara, de Douz, alors qu’il rentrait, en compagnie de sa mère, au terme d’une expédition de reconnaissance qui les avait menés à travers les différentes régions de la Tunisie.